Questionnaire (sur la Recherche) de Proust

Tout au long de son œuvre (romanesque et critique), les snobs et le snobisme auront été parmi les cibles privilégiées de la plume affûtée de Proust. Aucun autre écrivain ne les aura mieux observés, peints, décrits, moqués, dans toute leur vanité, leur futilité, leur hypocrisie et leur ridicule. Pourtant, très ironiquement, aucun autre écrivain n’aura été plus récupéré et instrumentalisé par les snobs que Proust. Il est du plus grand chic de se déclarer lecteur, voire carrément connaisseur de Proust. Il y a de flatteuses connotations derrière l’adhésion à ce nom, et elles suscitent les plus basses convoitises des égos vaniteux en recherche, non du temps perdu, mais d’une contenance retrouvée.

Schopenhauer distinguait d’un côté l’orgueil, qui est l’estime de soi que l’on tire de soi-même, et la vanité, l’estime de soi que l’on tire d’autrui, du regard des autres. L’une étant considérée par le philosophe comme profonde et authentique, l’autre comme factice et superficielle. Le snobisme, c’est « choisir » ses goûts et ses opinions, non pas selon ce que l’on pense et ressent réellement, mais selon l’effet que l’on veut faire, l’image que l’on veut donner, les gens à qui on veut plaire ou déplaire, ceux dont on veut être bien vus ou volontairement se distancer. Ainsi, il ne s’agit pas simplement de choix, mais davantage d’ostentation de ses choix. On sur-affiche ses goûts, ses dédains, ses idées, selon l’impression que l’on veut faire et ceux dont on veut se démarquer. Car le snob est snob autant négativement (selon ce qu’il veut surtout ne pas paraître) que positivement (selon ce qu’il veut paraître). La racine commune, c’est le paraître ; une pure vanité, une absence totale de naturel et de sincérité.  

Dès le moment où la cote d’un auteur ou d’un artiste grimpe, s’envole, et donc se charge d’une valeur rejaillissant sur quiconque la reconnait, le potentiel valorisant et les connotations très flatteuses que cela implique va attirer tout un tas d’individus qui vont adhérer moins par sincérité ou passion que par snobisme. Plus il y a, non succès (car le succès populaire est bas, peu valorisant, trop mainstream), mais gloire, renommée, prestige, plus augmente naturellement le nombre de faux admirateurs d’un artiste, d’une œuvre, qui cherchent avant tout à paraître et à se valoriser. Il y a dès lors plus de fans déclarés que de fans réels.

Il y a quelques temps, Gallimard a publié un nouvel inédit de Proust, sous le titre : Les 75 Feuillets. Des feuillets (donc, des pages de manuscrits, des brouillons), inédits, d’un auteur devenu classique et réputé difficile, issus de son œuvre fleuve et n’ayant de sens que si on la connaît, qui ont pourtant réussi à déplacer du monde en librairie, et même à attirer les caméras de télévision des principaux JT, venus couvrir l’événement dans quelques établissements, et rencontrer les lecteurs enthousiastes, avides du moindre bout de phrase tracé par l’illustre écrivain. En bout de file d’attente, une lectrice, interrogée par le journaliste sur ce qu’elle aime tant chez Proust, répond : « Le temps qui passe, la nostalgie, le temps retrouvé. »

Vous m’en direz tant !

Certains plaideront avec bienveillance pour la perte de moyens devant la caméra ou la difficulté de résumer une œuvre aussi riche et vaste. D’autres, à demi-amusés, à demi-consternés, y soupçonneront une imposteure (intéressant que les féministes, si déterminées à féminiser « autrice » et autres mots en « -eur », n’aient pas insisté pour celui-ci… manifestement, certains mots sont moins prioritairement paritaires que d’autres) ; une imposteure, pris en flagrant délit, très français, de petit snobisme littéraire du quotidien. Un inédit de Proust sort, on se rend en librairie, « Day One » comme disent les gamers, et on passe fièrement en caisse avec son petit Proust que l’on va feuilleter et poser dans sa bibliothèque avec tout ce qui doit y être vu, bien plus que lu.    

Que l’on ne se méprenne pas. Ces remarques ne sont précisément pas du snobisme. Car en aucun cas il s’agit de défendre un entre-soi élitiste et confidentiel autour d’un auteur. Bien au contraire. Plus on est de fous, plus on rit ! C’est excellent qu’il y ait toujours plus de nouveaux fans d’un artiste de qualité. Mais pour autant, ce n’est absolument pas grave du tout de ne pas être fan d’un artiste de qualité. Tout le problème est dans la sincérité.

Ainsi donc, ce n’est absolument pas aux non-fans de Proust ou de Baudelaire que j’en veux, qu’ils aient essayé de les lire ou pas. J’ai beau être fan des deux (surtout Baudelaire), je continue à considérer que, pour la plupart des gens, il y a plus de raisons de détester Proust et Baudelaire que de les aimer. Plus de raisons de ne pas les lire, que de les lire. Proust et Baudelaire, ces deux stars nationales de la littérature qu’il est de si bon ton et si chic d’admirer, sont des personnalités extrêmement clivantes, assez peu fréquentables, des artistes pas conçus pour être appréciés de beaucoup de gens. Il y a des années lumières entre les valeurs qu’ils portent et celles de la plupart des gens, y compris instruits et lettrés. Il n’y aucun problème, et rien de surprenant, et ce serait même plutôt normal qu’ils ne touchent pas grand monde et n’intéressent presque personne.

Dans une réalité où tant de gens se disent traumatisés par les descriptions de Balzac, il est impossible qu’ils soient tant à apprécier celles, dix fois plus longues et détaillées, d’un Proust.

Dans une réalité où tant de gens se disent intimidés par un pavé de 700 pages, il est impossible qu’ils soient tant à être allés au bout des 3000 pages de La Recherche.

Dans une réalité où les ducs, les duchesses, les barons, les marquis ne sont plus, et où la (très française) haine anti-riches et anti-aristo s’aiguise, il est impossible que tant de gens se soient passionnés pour un récit qui ne met en scène que des personnages de ce milieu (on n’est pas chez Zola ! Les gueux : dehors ! Sauf pour s’en moquer un peu !).

Dans une réalité où plus personne ne conçoit la passion amoureuse dans toute sa violence et sa part de noirceur, où la jalousie est désormais considérée comme « toxique » et contraire à l’amour, il est absolument impossible que tant de gens aient pu supporter et comprendre l’amour de Swann pour Odette ou du narrateur pour Albertine.

La réalité du discours social, du discours des gens, des valeurs en activité, sont en contradiction absolue avec ce que l’on trouve dans ces œuvres. Certes, Proust, en termes de vente et de présence médiatique, ce n’est pas Lévi, ce n’est pas Mussot, ce n’est pas Houellebecq ou Nothomb. Mais pour autant, il y a clairement plus de fans déclarés que de fans réels, et la charge positive et particulièrement flatteuse autour de son nom, semblant incarner à lui seul tout le fin du fin de la littérature française, suffit à jeter une lourde suspicion sur tant de fans enthousiastes, adorant étaler leur amour pour l’écrivain et son œuvre, le proclamant « plus grand auteur de tous les temps » à loisir, mais ne prenant jamais la peine d’expliquer pourquoi, de développer, de donner leur ressenti personnel.

Je n’en veux pas aux vrais fans de Proust. Je les comprends. Je n’en veux pas à ceux qui détestent Proust ou ne veulent jamais le lire. Je les comprends. J’en veux aux imposteurs, aux hypocrites, aux snobs, qui prétendent aimer un auteur qu’ils n’ont soit pas lu du tout, soit pas lu assez, soit pas du tout compris ou réellement aimé. J’en veux à ceux qui se servent de la culture comme instrument de vanité, de paraître, de sociabilité, de validation, de pouvoir sur autrui. Ils existent chez les lecteurs, chez certains professeurs, et plus encore chez les « auteurs ». Je veux qu’on les confonde, et qu’on les démasque.

Comment démasquer un imposteur parmi les fans d’un auteur ? Pas en lui demandant son point de vue. Car la subjectivité et la zone de flou permise par l’analyse personnelle lui laisseront une marge pour brouiller les pistes, et utiliser ce qu’il connaît, ce qu’il a entendu dire pour tricoter une légende convaincante. Le moyen le plus radical et fiable de débusquer un imposteur, c’est de le forcer à parler du texte, rien que du texte. Les faits. La lettre. Le littéral. Tester ses connaissances et sa compréhension de l’œuvre.

Le commentaire composé (si pertinemment épinglé par Yves Ansel), permet trop aisément de parler des oeuvres qu'on n'a pas lu en donnant l'impression qu'on les connait, en « textrapolant » (Ansel) sur des extraits sortis de leur contexte (tous ces Bacs, ces examens, ces oraux, décrochés sans que les œuvres aient été lues, ou réellement comprises, puisque l’interrogation porte sur ce que l’on est censés dire dessus, et non sur l’œuvre elle-même).

Une interro, c'est un peu mesquin. Mais on n’a jamais rien fait de mieux pour savoir à quoi s’en tenir. On ne peut pas tricher. On sait, ou on sait pas. La compréhension de texte (et non le commentaire ou analyse), pareil : on a compris, ou pas compris.

Au fil de ces réflexions, je me suis donc fait un petit délire. Une sorte d’interrogation écrite sur La Recherche du temps perdu. Le genre de trucs que l’on pourrait donner comme interrogation à ses élèves après les vacances, pour voir lesquels ont vraiment lu et compris l'œuvre au programme. Enfumage impossible. Seuls ceux qui auraient lu le texte pourraient répondre. Pas de piège ou de question trouble et sournoise dans cette interro. Des questions basiques et très faciles pour quiconque a lu le texte. Pour preuve, j’ai ajouté à mon questionnaire un niveau de difficulté sur l’échelle d’Harry Potter, avec des questions équivalentes sur l’œuvre de J. K. Rowling. C’est l’occasion de constater, de bonne foi, que les questions sont basiques. Toute personne ayant vraiment lu le texte avec attention et intérêt est en mesure de répondre à ces questions, qu’il ait apprécié l’œuvre ou pas. Et justement, pour ce qui est de l’appréciation, j’ai malgré tout ajouté quelques questions qui sont l’occasion de partager son ressenti plus personnel et d’expliquer clairement pourquoi on a aimé l’œuvre ou pas, et qu’à défaut de l’avoir aimé, on en a bien compris les caractéristiques, l’idéologie et les enjeux intellectuels/artistiques.  

Je me suis imaginé, si je travaillais en librairie, donner ce petit questionnaire, non de Proust, mais sur Proust, aux clients achetant les Soixante-quinze feuillets, si « passionnés » ou « enthousiastes » envers « le plus grand écrivain français de tous les temps » ; et leur annoncer que les « vrais » fans, ayant donc un score bon ou parfait au questionnaire, repartiraient avec le livre gratuit. Et qu’en revanche, ceux qui auraient un score mauvais ou nul le paieraient le double de son prix.

Les snobs et autres imposteurs se clamant, pour le chic, fans d’un auteur qu’ils ne connaissent pas vraiment, qui paient l'exemplaire que l’on offre aux fans sincères et passionnés, cela me semble une bonne justice !

Libre à chacun de s’essayer à ce questionnaire, et même de publier leur copie si cela les amuse. Mais évidemment, cela ne pourra avoir aucune valeur réelle, puisqu’il sera impossible de vérifier qui a pu chercher les réponses sur Google. Prenons cela davantage comme un petit troll littéraire.

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Questionnaire (sur La Recherche) de Proust


Connaissance de l’œuvre

[Difficulté sur l’échelle d’Harry Potter : Nommez les 7 Tomes d’Harry Potter dans leur ordre chronologique. Où va-t-on acheter ses fournitures scolaires de sorcier ? Comment se rend-t-on à Poudlard ? Dans quelle petite bourgarde fictive les élèves de Poudlard peuvent-ils se promener à partir de leur 3ème année ? Qui est le directeur de Poudlard ? Qui est Sirius Black ? Qui est Hagrid ? Qui est Cornélius Fudge ? Qui est Tom Elvis Jedusor ? Quelles sont les 4 maisons de Poudlard ?]

 

A la recherche des titres perdus

- Nommez les 7 volumes de La Recherche du Temps Perdu, dans leur ordre chronologique.

 

GPS : Géographie Proustienne en Situation

- Quelle ville fictive est le théâtre champêtre de l’enfance du narrateur ?

- Dans quelle ville fictive le narrateur passe ses vacances au bord de la mer ?

- Dans quel village fictif le narrateur dine-t-il en compagnie de Saint-Loup dans le Tome 2 ?

- Quelle ville réelle fait rêver le narrateur depuis l’enfance et finit-il par visiter dans le Tome 6 ?

 

Who’s who proustien

- Complétez l’arbre de relation des personnages de La Recherche ci-dessous :

 

 

Who’s who proustien (suite & fin)

- Quel est le nom de l’illustre ancêtre des Guermantes ? 

- Quel est le lien entre Mme de Villeparisis, Saint-Loup et Palamède de Charlus ?

- Qui est Odette de Crécy ? Quels sont ses autres noms tout au long de La Recherche ?

- Qui est Françoise ?

- Qui est Morel ?

- Qui est Cottard ?

- Qui est Bloch ?

- Qui est Madame Verdurin ?

- Qui est Oriane ?

- Nommez les quatre principales jeunes filles en fleurs de la « petite bande ».

- Nommez les 3 femmes aimées par le narrateur tout au long de La Recherche.

- Nommez les personnages de La Recherche qui représentent respectivement ces 4 arts :

            => Peinture :

            => Littérature :

            => Musique :

            => Théâtre :

 

Questions pour un cham’proust !

- Top ! Je suis le petit-neveu de Mme de Villeparisis. Je suis en garnison à Doncière. Le narrateur fait ma connaissance à Balbec et nous devenons bons amis. Plus tard, j’épouserai Gilberte de Forcheville. Je suis, je suis, je suis…

- Top ! Je suis l’excentrique beau-frère d’Oriane et l’oncle de Saint-Loup. Illustre rejeton de Sodome, le narrateur me surprend en pleine parade amoureuse avec Jupien. Je vis une véritable déchéance suite à la vengeance de Mme Verdurin. Je suis, je suis, je suis…

 

 

Compréhension de l’œuvre

[Difficulté sur l’échelle d’Harry Potter : Pourquoi Harry Potter a survécu au sort de Voldemort étant bébé ? Qu’est-ce qu’un Patronus, et quel est celui de Harry ? Expliquez les rudiments du Quidditch à un débutant. Comment approche-t-on un hypogriffe ? Comment décririez-vous la nature des sentiments de Rogue envers Harry et ses parents ? Comment Volemort parvient-il à revenir ? Parmi ces personnages, lesquels sont des Mangemort ?]

 

Du côté de chez Swann

- Pourquoi le narrateur avait peur de Swann, étant enfant ?

- Dans Un Amour de Swann, quelles sont les 3 étapes clés qui font basculer Swann dans la passion ?

- Dans Un Amour de Swann, qu’est-ce que « Faire Catleya » ?

 

« Petites phrases » musicales

- Complétez ces paroles de la célèbre chanson de Dave : (Non, je déconne !)

- Expliquez quel lien on peut faire entre La Recherche (en particulier, quels tomes ?) et les paroles de la chanson Every breath you take de Police (1983) - (Non, là, je ne déconne pas !)

Every breath you take

Every move you make

Every vow you break

Every step you take

I'll be watching you

[…]

Oh, can't you see

You belong to me

How my poor heart aches

With every step you take

[…]

Since you've gone I've been lost without a trace

I dream at night I can only see your face

I look around but it's you I can't replace

I feel so cold and I long for your embrace

- S’il y en a qui sèchent sur l’anglais, vous pouvez demander l’aide d’un personnage de La Recherche qui adore user de cette langue pour le chic… mais lequel ?

 

Dreyfusard ou Antidreyfusard ?

- Pour chacun des personnages ci-dessous, indiquez s’il est dreyfusard ou antidreyfusard :

            => Swann :

            => Saint-Loup :

            => Charlus : 

            => Albertine :

=> M. de Norpois :

            => Les Verdurin :

 

Thématiques & idéologie de la Recherche

- En dehors du Temps, quels sont les principaux thèmes de La Recherche ?

- Quel travers humain, qui horripile et cependant caractérise le personnage de Legrandin, traverse tous les personnages de La Recherche et fait un des principaux thèmes de l’œuvre ?

- En quelques mots clés, résumez la vision de l’Amour donnée par Proust, et ses principales caractéristiques tel que le narrateur l’expérimente et le décrit ?

- Quelle est la révélation finale qui marque la fin de la Recherche dans Le Temps retrouvé ?

 

Appréciation de l’œuvre

 

- Quel est le passage que vous préférez dans La Recherche ? Expliquez pourquoi.

- Quel est le passage que vous aimez le moins (ou détestez) dans La Recherche ? Expliquez pourquoi. 

- Quel est votre personnage préféré de La Recherche ? Expliquez pourquoi.

- Pourquoi aimez-vous (ou n’aimez-vous pas) La Recherche du Temps perdu ?

 



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