Compléments de réflexions & précisions concernant la vidéo "UNE LETTRE D'AMOUR TOXIQUE ?"

Je reçois des commentaires et des réactions, sympathiques et pertinentes, sous les dernières vidéos, et je tiens à vous en remercier. C'est un des aspects les plus agréables et motivants. 

Parmi ces commentaires, l'un des derniers, d'une Happy Few, m'a particulièrement inspiré, et poussé à éclaircir plusieurs points sur le sujet vaste, complexe et sensible de la passion amoureuse. 

J'ai donc pensé qu'il pourrait être intéressant de partager ici le commentaire en question, et la longue réponse que je lui ai faite, qui a été pour moi l'occasion de revenir sur plusieurs points très importants pour mieux cerner mon point de vue et ma démarche dans cette vidéo et dans les suivantes, ma méthode "littéraire", et de redéfinir les termes de l'Amour dans ses différentes dimensions. 

La vidéo : https://youtu.be/2IgjOyUXKH4



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COMMENTAIRE DE MARIE C.

"Merci pour cette analyse. Puisque tu t’es surtout concentré sur l’auteur de la lettre et ses sentiments, je me permets d’esquisser le début d’une réflexion sur le point de vue inverse, celui de la réception de cette lettre par la destinatrice. Bien sûr, tout cela reste hautement subjectif et a seulement vocation à tendre vers une approche plus globale du « problème ».

En tant que femme, j’avoue me sentir aussi légèrement mal à l’aise face à cette lettre même si je n’irais pas jusqu’à parler de toxicité. On se trouve face à un homme, vraisemblablement, qui se montre un peu insistant vis-à-vis d’une femme qui lui a demandé de ne plus la contacter. De l’extérieur, le texte est beau, bien rédigé et comme tu l’as mentionné, il semble très sincère quant aux sentiments de son auteur. Or, je ne peux m’empêcher de me mettre à la place de la femme qui reçoit cette lettre (ce qui a surement aussi été le cas de la personne qui a rédigé le tweet). La vérité c’est que quand on se trouve réellement dans ce genre de situation on ne se sent pas « flattée » ou « émue », on a peur parce qu’on ne se sent pas en sécurité et on se sent humiliée parce qu’on a l’impression que notre propre volonté ne vaut rien.

Pour ce qui est de la « passion », je trouve ton analyse intéressante. Toutefois, je trouve ça dommage de raisonner uniquement dans le cadre d’un amour passionnel unilatéral (bien que tu ouvres un peu la réflexion vers la fin de la vidéo). On peut compatir avec l’amoureux passionné qui se voit éconduit mais ne peut pas tout lui pardonner. L’amoureux n’a pas choisi de l’être, ce n’est pas sa faute, certes, mais la personne aimée n’a pas non plus objectivement décidé de ne pas partager ces sentiments… De mon point de vue, l’amour passionnel ne devrait pas être glorifié en tant que tel, une personne n’a pas à accepter de recevoir l’amour d’autrui uniquement parce qu’il est passionnel si elle ne partage pas cette passion. Sinon, on entre dans une relation très déséquilibrée, qui fait souffrir les deux parties et où, au final, la « toxicité » s’invite. Peut-être que tu en parleras dans la deuxième partie de la vidéo…

Voilà pour mon avis, qui reste, comme tu l’auras compris, très subjectif (et tout à fait ouvert à débats) : je ne pense pas qu’on puisse en vouloir à la rédactrice du tweet d’avoir confronté ce texte à sa propre réalité et à ses expériences et je ne suis pas certaine qu’on devrait s’abstenir de critiquer l’auteur de la lettre aux seuls motifs qu’il est amoureux et qu’il écrit bien…"

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MA REPONSE AU COMMENTAIRE 

Comme promis, je reviens vers toi pour répondre plus en détails à ton commentaire, dont je te remercie encore, car c'était à la fois intéressant et très nuancé, et ça alimente bien la réflexion. On pourrait faire dans l'aporie facile et résumer la situation avec la fameuse formule facebookienne : "IT'S COMPLICATED", ce qui aurait, au passage, le mérite de contourner l'énorme risque de pavé hors-contrôle auquel je m'expose en te répondant. C'est vraiment "complicated", si je veux mettre toutes les nuances et mieux contextualiser ma réflexion... je suis parti pour écrire mon livre xD 


Je le dis ailleurs, mais même la meilleure vidéo ne pourrait pas correctement traiter ce genre de sujets, car on est dans une matière plutôt littéraire, qui demande la patience, la concentration, l'amplitude et les nuances de l'écrit. C'est beaucoup trop dense et complexe pour de la vidéo, il faut un livre. 


Tu dis des choses complètement justes et auxquelles je souscris complètement : le fait que la personne qui n'aime pas/plus en est aussi peu responsable que la personne qui aime ! Tellement vrai ! La cruelle loi des affinités électives ! En ce sens, il n'y a pas d'argumentation à opposer à quelqu'un qui ne nous aime plus. C'est irrationnel. Seules les ruptures pour des motifs précis et rationnels, avec sentiments persistants, sont récupérables. Ou alors il faut imaginer pouvoir faire "renaître les sentiments", tâche ambitieuse et incertaine, mais quête répandue, comme en attestent les nombreuses vidéos types "Je récupère mon ex ». 


(Je reçois à l'instant ton commentaire sur ta hâte d'une réponse ! Les grands esprits se rencontrent ! Work in progress !) 


Le point de vue féminin mais surtout de l'autre protagoniste (car ça pourrait être les rôles inversés) que tu apportes et soulignes est très juste, et je suis complètement d'accord. On a tous, (même moi !), pu expérimenter le fait d'être l'objet des assiduités de quelqu'un pour qui on n'a pas de sentiments, et c'est une situation embarrassante et inconfortable, où on veut à la fois être clair et en même temps, ne pas maltraiter quelqu'un. On est à la fois touché, et en même temps désespérément "insensible". Et, oui, ça peut parfois virer au glauque (et pas seulement de la part d'un gars ; pour les quelques fois où une imprudente a eu l'idée bizarre de s'enticher de ma personne, je peux attester que les filles savent être très insistantes, malaisantes ou carrément chelou). 


Je vois ce que tu veux dire avec cette sensation de ne pas être respecté dans sa volonté ; et quant à la sécurité, cela peut effectivement être un problème dans les cas les plus extrêmes (extrêmes, car selon moi, les amoureux sont un danger davantage pour eux-mêmes que pour l'objet ; on a plus de Werther qui se suicident que de Julien Sorel qui tentent de tuer l'autre). Bizarrement, les violences viennent davantage... du couple, du conjoint pourtant choisi/épousé, que de la personne rejetée. Cela laisse songeur. Mais les crimes passionnels post-rupture ou rejet sont une réalité. Et ne nous lançons même pas sur le sujet des INCELS, qui mériteraient une vidéo à eux-seuls, tant ce phénomène préoccupant pose de graves questions.


Ce n'est pas pour rien et pas par absence d'empathie ou solidarité masculine/amoureuse au mec que j'ai laissé de côté la femme. C'est lié à ma méthode, peut-être une déformation professionnelle de littéraire : je ne me fie qu'au texte. Je ne connais pas les protagonistes (la carte date des années 80 ! Ils pourraient bien être déjà morts, ou en train d'agoniser du Covid dans une chambre d'hôpital, remis ensemble et marié, puis re-séparés, avec des tas d'enfants et de petits enfants), je ne connais rien de leur histoire. Je n'ai que cette carte, et c'est sur cette seule carte que la Twittos a jugé. Je fais de même, sauf que moi, je refuse de spéculer. Je m'en tiens au texte, et rien qu'au texte. D'où le rapide commentaire linéaire que j'en propose, en refusant les suppositions. J'applique une méthode de mon maître (Yves Ansel), qui me tient à coeur : "Entre les lignes, il n'y a que du blanc". En l'absence d'éléments paratextuels, il n'y a que le texte. Le reste n'existe pas, n'est pas exploitable, sinon en pure spéculation. On peut tout imaginer, et là, c'est la porte ouverte à toutes les fenêtres, c'est l'écriture d'invention ou la fan fiction. 


En m'en tenant strictement au texte, j'en ai déduit seulement 2 choses : 

1) Il a l'air sincèrement amoureux et en souffrance 

2) La lettre n'est pas toxique (La lettre. L'homme, je n'en sais rien, la relation, je n'en sais rien). 

Je me permets enfin de dire que la relation n'est pas le sentiment, et donc que même si le comportement d'un amoureux est inapproprié, le comportement ne disqualifie pas le sentiment, qui n'appartient qu'à celui qui le ressent. La relation est sous le coup de la morale. Mais pas le sentiment, qui n'a cure de la morale. Chateaubriand, à travers "René", raconte son amour incestueux pour sa soeur. La relation, immorale, en devient impossible socialement. Mais le sentiment, bien que cause de souffrance, n'a de compte à rendre à aucune morale et aucune société, et le coeur n'en fait qu'à sa tête (!). 


On dit aux élèves de lettres : "Ne faites pas de psychologie de personnages". Cet homme et cette femmes, je les ai approchés comme des personnages de fiction, ce qu'ils pourraient tout aussi bien être. Quelle différence ? Comme ils sont d'un autre temps, et qu'on ne les connaît pas, qu'ils aient existé ne change rien. Or, le personnage de la femme est absent, n'est qu'un destinataire sans parole. On n'a rien d'elle. J'aurais adoré que ce fût le cas, cela aurait été intéressant, mais on a rien. Donc, elle n'existe pas, je ne vais pas spéculer sur elle. Elle est comme l'officier de Chamilly à qui écrit la religieuse amoureuse Marianne dans "Lettres d'une Religieuse Portugaise" (1669), célèbre roman épistolaire à sens unique. Aucun mot de Chamilly. On est cantonné au point de vue Marianne, et ce qu'elle ignore, on l'ignore aussi. 


Fait amusant et intéressant : à l'époque, au XVIIe siècle, des "suites" ou "fan fiction" ont été écrites par divers auteurs, pour ajouter le point de vue de l'amant ingrat ayant abandonné Marianne. Et, comme quoi : tous ces auteurs ont décidé de prendre la défense de Chamilly, de l'excuser, de lui chercher des justifications et à le réhabiliter, essayant de retourner la situation en montrant que Marianne est en fait une amoureuse toxique et hystérique, et que celui qu'elle présente comme un libertin cynique qui a abusé de sa naïveté est en fait un brave type dont la Poste a just perdu les lettres ! Bah voyons, mon colon ! 


Ces suites sont non-officielles et jugées médiocres et complètement incohérentes par rapport au texte de référence, mais peu importe, la démarche est intéressante et révélatrice. Il semble y avoir un réflexe naturel à vouloir "compatir" à la personne "accablée" par l'amoureux-se, et sans doute plus encore quand c'est une femme qui est aimée, car cela prend vite une connotation de harcèlement et de danger. 


Je finirai cette très longue réponse en précisant (et je devrais peut-être le faire "officiellement", avant les prochaines vidéos) que, oui, je vais prendre la défense et le parti de l'Amour Passion, qu'il soit réciproque ou à sens unique, dans les prochaines vidéos. C'est un parti pris. C'est ce qui m'intéresse et me touche. En particulier, la façon dont l'Amour Passion est déconsidéré, vu comme toxique et immature, et --- ce qui me révolte par-dessus tout --- ne serait pas du vrai Amour. (Parce que, bien sûr 1) Il y aurait UN VRAI Amour 2) Et donc certains décidément bien chanceux, extralucides ou omniscients, ont la formule, savent ce que c'est, détiennent les données quantiques de ce redoutable Trou Noir qu'est l'Amour, et dont il me semblait qu'on ne pouvait contempler que l'Horizon des Evénements…) 


En fait, on est au milieu d'une très vieille gué-guerre entre deux visions radicalement opposées du "véritable" Amour : 


=> Eros, version païenne, l'Amour irrationnel, passionné, possédé, possessif, créatif, créateur, rebelle, au-delà de la morale et des interdits, peu importe la valeur véritable de l'objet ou à quel point on le connaît, c'est la Passion.  


=> Agapè, version chrétienne, l'Amour plus "rationnel", reposant sur ma relation, des vrais points communs, une profonde estime mutuelle creusée avec le temps (donc, légitimité "démontrable"), sur l'Amour du Prochain (catho power !), l'altruisme et la générosité (jusqu'à l'idée qu'il faut être heureux pour l'autre, même s'il est heureux sans nous !), sans Passion (car la Passion... ne peut être que pour Dieu. C'est Dieu qu'on adore, dans sa perfection, et on aime"seulement un humain) et qui a accompagné la réinvention du mariage comme sacrement. 


Comme l'a si bien démontré Denis Rougemont dans "L'Amour et l'Occident" (1938), on nage en plein délire paradoxal puisque le cinéma et la fiction célèbrent et surexposent l'Eros MAIS la réalité le condamne (comme toxique, puéril ou pure invention) et ne reconnaît & respecte que l'Agapè comme véritable Amour. 


Je prendrai le partie de l'Eros païen et de l'Amour Passion, et surtout, je séparerai les dimensions de l'Amour (Eros), du Couple (Agapè), et de la Sexualité (Aphrodisia), que la société capitaliste moderne prétend pouvoir offrir à 100% de leur potentiel en une seule et même personne, ce qui ne peut qu'être une publicité mensongère provoquant plein de déceptions naïves. Et ce n'est nullement un appel à la polygamie de ma part, moi qui suis exclusif et jaloux comme un tigre, et tiens en haute estime l'autre notion si mal aimée et décriée de jalousie et de possessivité en Amour. C'est juste un constat, et on voit quel camp choisissent les gens en majorité, l'Amour Passion finit dernier, c'est la sexualité et le couple (partenaires, vie quotidienne, projet de vie, activités, famille) qui l'emportent haut la main. 


Je m'arrête là, car sinon, je vais vraiment me mettre à écrire mon livre xD Voilà pour ce que m'inspirait ton très inspirant commentaire, que j'ai eu plaisir à lire, pour sa générosité et ses nuances. En espérant que ma réponse t'aura permis de mieux cerner ma démarche et ma prise de position, et peut-être d'apprécier les prochaines vidéos, qui seront un peu braques, me plaçant en "avocat" véhément de l'Amour Passion. Mon sale caractère se chargeant du reste. Au plaisir de te lire au détour d'un autre commentaire !


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