[TCHAT DISCORD] A PROPOS DE LA VERITE & DE LA PHILOSOPHIE
[DISCCUSION DISCORD] REPONSE AUX
REACTIONS DE SANDRINE SUR LE SUJET « MASCULIN / FEMININ » DU DERNIER
SALON & A LA REPONSE D’EMERIC
Hormis notre rapport à la vérité
qui diffère, en bonne partie parce que j’adhère à l’Idéalisme, et lui non, je
souscris complètement aux propos de @Wilson.
Je vais toutefois ajouter des
choses aussi.
Déjà, quand je parlais de vérité,
je ne parlais pas dans le sujet précis dont il est question ici. Je parlais en
général. Sur tant de choses que j’entends et vois.
Je ne prétends pas que l’on
détient la vérité ou même qu’elle soit trouvable. C’était notre proposition. Et
le fait que ce soit ma proposition de vérité, ne veut pas dire que je l’affirme
comme telle et surtout que j’en ai plus de preuves que ce que j’ai pu en dire.
Tout ce que je voulais dire,
c’est que :
- Je crois en son existence (la
Vérité), même si elle nous est invisible et qu’on ne la découvrira sans doute
jamais dans de tels domaines (d’où mon Idéalisme) – Ce qui n’est pas une raison
pour ne pas la chercher quand même & tendre vers elle [mais j’y reviens
plus loin]
- Je reproche à l’opinion
(l’ennemi absolu des philosophes) de vouloir déconstruire des vérités et en
établir de nouvelles en passant par TOUT sauf une démarche de recherche de la vérité.
Ils raisonnent à travers leurs fantasmes, leurs utopies et leurs sentiments. A
part aimer et apprécier l’art, on ne fait rien d’intéressant, de fiable et de constructif
intellectuellement avec des sentiments. Ils essaient d’adapter la réalité à
eux. D’ailleurs, le scepticisme caractérisé reste encore le meilleur outil pour
eux dans ce sens. En niant la vérité de tout au nom de la prudence
intellectuelle, en affirmant que rien n’est vrai, que tout est construction,
acquisition, relativisme, que tout est à remettre en question, ils ouvrent le
champs des possibles à l’infini. Tout cela au détriment de choses qui,
peut-être, dans le tas, sont bel et bien vraies, mêmes si elles ne font pas
plaisir ou qu’elles sont un peu désespérantes, ou créent de douloureuses
exceptions. Les choses ne sont pas comme elles sont pour nous faire plaisir ou
mettre du baume sur nos petits cœurs d’êtres humains fragiles et égocentriques.
Elles sont. Pour certaines, on peut découvrir de façon démontrable ce qu’elles
sont. Pour la plupart, on ne pourra jamais rien prouver, et on est condamnés à
tâtonner en espérant en vain pouvoir les saisir. Mais le fait de ne pas y
arriver ne veut pas dire qu’elles n’ont pas de réalité. Juste que cette réalité
n’est pas à nôtre portée, pour toujours, ou seulement à ce stade de nos
investigations philosophiques.
C’est l’éternelle démonstration
de l’égocentrisme humain : si je ne le perçois pas, ça n’existe pas.
Pourtant, la science a permis de montrer que ça ne se passait pas ainsi. Mais
au moins, en science, on a du quantifiable, du calculable, du démontrable, donc
ça fait l’affaire. Dans les domaines où on est vraiment dans l’abstraction
pure, là, c’est le déni absolu.
Tant de choses avaient une
réalité, et cela bien avant qu’on ne la découvre, mais tant qu’on n’avait aucun
indice concret de leur existence, la plupart estimaient que ça n’existait pas.
Les anneaux de Saturne ou l’ADN n’ont pas attendu qu’on les remarque et qu’on
leur donne un petit nom pour être une réalité. Une réalité invisible avant
l’invention d’outils spécifiques pouvant les observer, mais une réalité. Juste
parce que nous n’aurons jamais les outils pour observer certaines choses
constituantes de notre réalité invisible ne signifient pas qu’elles ne pas sont
réelles, qu’elles n’appartiennent pas à la vérité (de notre humanité ou plus
globalement de notre monde). La vérité, ça existe. Et ça existe indépendamment
de la connaissance qu’on a d’elle ou des fantasmes qu’on s’invente. Et il faut
pouvoir s’attendre à tout, y compris ce qui ne nous fera pas plaisir, n’ira pas
dans le sens de nos désirs ou de notre vision rêvée. Le « je n’aime pas /
c’est moche / c’est injuste », donc c’est faux / et le « j’aime /
c’est beau / c’est juste », donc, c’est vrai, est de la dernière
puérilité. Si on a de la chance, de belles choses sont vraies, mais d’autres
vécues comme laides ou injustes le sont tout autant. Ce n’est pas à la carte.
Le sujet de l’autre soir, sur le
Masculin/Féminin, je l’ai pour ma part abordé sur un plan Philosophique, et
uniquement Philosophique. Aucunement sociologique ou autre.
Or, la philosophie, on peut,
entre autres, la considérer comme la poursuite de sagesse et de vérité, non pas
sur le plan physique, astronomique, chimique, biologique, etc., mais dans le
domaine de l’humain et de sa nature, des concepts et des idées (donc de
l’impalpable, de l’abstrait, de l’indémontrable) qui inspirent, guident ou
organisent son existence seul et en société.
D’où le fait que, le plus grand
domaine de la Philosophie, sa plus grande affaire et son véritable terrain
d’investigation, c’est l’éthique. La question humaine, la morale, le rapport à
autrui, l’eudémonisme. Qu’est-ce que le Bien ? Qu’est-ce que le Mal ?
Qu’est-ce que le Bonheur et les conditions pour l’atteindre ? Qu’est-ce
que le juste ? Quelle est la part de culture et de nature, d’inné et
d’acquis dans l’être humain ? Ces notions existent-elles mêmes ou sont
elles imaginaires et arbitraires ? Ce qui mène à se demander si la Vérité
existe et, dans tous les cas, si elle bien la motivation légitime de toute
démarche philosophique. Autant de sujets de philos éculés au Bac, et pour
cause ! Tout est là !
Comme nous ne sommes pas dans le
domaine de la science, mais de l’humain, et que de nombreux philosophes ont
cherché à asseoir ou démontrer leur postulat ou système, on comprend pourquoi
la philosophie a tant flirté avec la métaphysique. Au sens le plus étymologique
du terme, elle permet d’enjamber la physique (domaine réservé aux choses
observables physiquement, démontrables, manipulables concrètement), et de
supposer une réalité invisible, au-dessus de la physique, où siègeraient bel et
bien, hors de portée de nos sens, des notions dans toute leur réalité. La
Volonté de Schopenhauer, les Idées de Platon, les Noumens de Kant, etc.
Les choses se corsent quand,
comme moi, on est porté à rejeter la métaphysique comme trop commode ou
surnaturelle, et à cependant ne pas renoncer à la notion de vérité qui nous
serait invisible, mais qui cependant existerait sur bien des notions sans
besoin de notre connaissance, de notre regard et de notre avis. On peut ne
jamais pouvoir l’observer et la prouver, elle est là, à l’œuvre, des choses se
jouent dont nous profitons de l’invisibilité pour nier l’existence.
Quand le monde était un peu plus
mystérieux qu’il ne l’est pour nous depuis une bonne cinquantaine d’années, la
Philosophie avait un assez vaste terrain de jeu, aux frontières encore assez
floues entre physique et métaphysiques. Depuis que la science a répondu à pas
mal de choses, déconstruit pas mal de mythes, etc., elle règne un peu en
despote, et là aussi, on comprend pourquoi on n’a plus de grands philosophes
depuis Sartre. Ca coupe le sifflet, d’autant plus quand les mentalités sont en
plus en pleine ivresse collective sur les notions de « preuve »,
« observation », « expérience », « calcul ». La
philosophie, c’est trop « science humaine », ça fait
« science molle ». Double pénalité : elle n’a pas les moyens de
prouver ce qu’elle avance, et pourtant, elle a le toupet de supposer que la
vérité (qu’elle ne fait que poursuivre et parfois proposer) existe,
indépendamment de notre connaissance. C’en est trop !
La science, c’est le domaine de
la vérité observable et du moins démontrable. La philosophie, c’est le domaine
de la vérité invisible et donc indémontrable de façon absolue (sauf recours à
la métaphysique, elle-même indémontrable, et revenant le plus souvent à une
espèce de X comme donnée inconnue permettant d’élaborer un système)
Pour ma part, j’assimile la
Vérité au Graal de la Philosophie. Comme lui, elle est cet objet introuvable,
qui n’existe peut-être même pas, et pourtant, tout le principe est bien de
partir à sa quête, de tendre tous ses efforts vers lui, de le chercher, de le
prendre pour critérium et méthode. Pour ne peut-être jamais l’atteindre, mais
au moins s’en approcher, et au moins pouvoir justifier que, même dans l’erreur,
c’est en le cherchant qu’on s’est trompés, et non pas en prenant comme postulat
n’importe lequel de nos fantasmes égotistes. La vérité prise comme but force le
philosophe à dépasser ses propres préférences, à « objectiver » ses
réflexions sur quelque chose qui dépasse son individualité.
Autre chose qui ne la rend
définitivement pas populaire, la philosophie ne s’abaisse pas aux petits faits
particuliers et aux individualités, elle fait dans le général. Elle ne
considère pas les individus pris à part, mais l’idée d’individu. C’est ça qui
permet de prendre de la hauteur, au prix évident des cas particuliers et des
exceptions, ce que tant vivent si mal. D’où l’absence de considérations pour
les petits détails terre-à-terre, les anecdotes triviales relevant du cas
spécifique. Ce n’est pas de la sociologie ! Pas de sondages, de
statistiques, de graphiques, de recensements, d’études de cas et autres outils
développés pour scientifiser l’étude des êtres humains – tout en ne pouvant
toutefois d’abstenir d’inévitable généralités, parce que la réalité au détail
est bien trop protéiforme et complexe. Ce qui n’est pas incompatible avec une
vérité plus générale, comme une espèce de noyau commun d’où découle une
infinité de variantes. La Philosophie va s’intéresser au noyau, à la source
commune, au principe général, et non pas aux innombrables déclinaisons
individuelles.
C’est là encore pourquoi elle ne
peut que déplaire, parce qu’on est en plein délire collectif sur le
particularisme et l’individualisme. Chacun est complètement ivre de lui-même et,
dans cette masse anonyme mise au jour par Internet et la mondialisation,
cherche sa particularité, à surligner sa singularité, à l’affirmer, à en faire
une revendication ou un objet de lutte. Je suis différent, donc discriminé,
donc je milite pour ne plus l’être (discriminé) mais surtout, je suis
différent, et fier de l’être, c’est moi, et donc je tiens à la rester. La
prolifération des particularismes atteint un tel degré d’absurdité que ça tend
de plus en plus à l’éclatement, à cette atomisation dont on parle souvent au
Salon. On a plus qu’une somme d’individus isolés et égocentrés qui se réclament
chacun d’une différence (parfois anodine) censé les rendre uniques,
exceptionnels, et donc dignes d’être traités spécifiquement. Ingérable à
l’échelle de millions ou de milliards d’individus. Sans parler de l’antagonisme
des particularismes. Ma différence est discriminée ou empêchée par ce qui
s’avère être la différence d’un autre, et ainsi de suite. Tout le monde se gêne
mutuellement, personne ne parvient à vivre ensemble.
On peut reprocher à la
Philosophie d’aller trop dans le général, de fouler ces particularités et de
« résumer » l’être humain à un concept, une idée au mépris de son
individualité, des spécificités de chacun… Mais au moins, en faisant cela, la
Philosophie recherche non pas ce qui nous différencie dans le monde visible,
mais ce qui nous rassemble et fait de nous la même espèce dans le monde
invisible. Quelle est notre racine commune, quelle est la nature humaine ?
– Car, oui, il y a une infinité d’individus et donc autant de variantes
subtiles ; il y a – je le pense – plus ou moins quatre tempéraments
principaux résumant déjà un peu plus l’essentiel des sensibilités – mais,
encore au-dessus, je pense pour ma part (et je sais que Wilson n’est pas d’accord
non plus là-dessus), qu’il y a une nature humaine. Plusieurs
Philosophes en ont vu la preuve
dans ce que Schopenhauer a formulé « Idem sed aliter »
(« Semblable, mais différent »), c’est-à-dire le fait que le monde
humain ne change qu’en surface (coutumes, technologie, costumes, etc.), mais
que ce sont les mêmes comportements que l’on observe à travers le temps :
guerres, cupidité, sexe, argent, pouvoir, conflits, amour, héroïsme,
sacrifices, violence, création, etc. Ce qui permettrait de « dégager »
des traits, des caractéristiques, de percevoir ce qu’est l’Homme dans son
essence à partir de tout cela, un peu comme une succession d’images fixes (que
serait chaque époque) qui, visionnées à la suite en accélérée, donnent une
image en mouvement, font apparaître la nature humaine par-delà les détails les
plus insignifiants ou superficiels.
Là où je vais rejoindre le propos
de Wilson (et cela en étant pourtant passé très exactement par où il se refuse
à aller), c’est que, à défaut de pouvoir malheureusement accéder à la Vérité
(si tant est qu’elle existe, et admettant même qu’elle n’existe pas), on peut
du moins la déduire ou dégager une hypothèse, une proposition par
l’observation, la conjecture, la délibération, parfois le bon sens… et la
norme. Car la norme existe. D’ailleurs, tout le monde en fait un despote qu’il
faut abattre, comme si on pouvait mettre autre chose à la place
(l’anti-norme ? Le particularisme ? Rien ?), alors que si on
chasse une norme, une autre prend simplement sa place. Il y aura toujours des
normes, aussi longtemps qu’une majeure partie d’individus dans un ensemble
adoptent tel ou tel comportement. Il y a des normes pour tout et n’importe
quoi, et des normes plus générales, et on peut être dans la norme dans un
domaine alors que marginal dans un autre. On n’est jamais vraiment complètement
dans la norme ou complètement marginal. On est plus ou moins marginal ou dans
la norme. Et une norme se dégage de cet ensemble, fatalement, et fait office de
repère. Et OUI, les gens qui ont le malheur (ou le bonheur) d’être faits de
telle façon qu’ils sont dans la norme en tirent des avantages, ce qui serait le
cas avec d’autres personnes avec une autre norme, mais jamais tout le monde ne
pourra cumuler les avantages de la norme et de la marginalité. On paie sa
normalité ou sa différence chacun à sa façon. La norme est intéressante pour le
sociologue et pour le philosophe, car – plus encore si elle se perpétue voire
se retrouve de société en société – elle peut donner un indice sur des traits
humains fondamentaux et récurrents, que l’on peut alors supposer comme
constituante de notre humanité. Des comportements, des tendances ou des
mentalités, observés à travers les siècles et les civilisations peuvent apparaître
comme des manifestations, des indices d’une « vérité » cachée, sur
notre nature, sur notre psychisme commun, des notions… telles que le masculin
et le féminin, bien au-delà des considérations plus prosaïques de genre ou de
sexe.
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