[CINEMA] - "MARY POPPINS RETURNS" (2018) : An unexpected hype !
Je suis en voie de reconsidérer
mon refus de voir "MARY POPPINS RETURNS" (2018) de Rob Marshall, la
suite du film culte de Disney, sorti en 1964, avec la ravissante et si classe
Julie Andrews dans le rôle de la nounou imaginée par l’écrivaine anglaise P. L.
Travers. Film sorti la même année que My Fair
Lady, dont Julie Andrews avait tenu le rôle sur scène, et qu’elle avait dû
céder à Audrey Hepburn quand il fut adapté à l’écran. Elle y gagna au change,
puisqu’elle remporta un Oscar, et Audrey fit une démonstration de classe et
de fairplay restée dans les annales de la cérémonie. Mais revenons en 2018.
Disney déraillé
On a eu bien des occasions
d’évoquer le sujet au Salon 111 et au Talk Club : depuis quelques années,
Disney est une dynamique que je déteste, et blâmable à bien des égards ;
fermeture du département animation traditionnelle ; rachat de LucasFilm et
de Marvel avec les conséquences funestes et la surproduction médiocre que l’on
connaît ; et une chiée de remakes « LIVE » de tous leurs plus
grands chefs-d’œuvre d’animation.
Au milieu des remakes
consternants de La Belle et la Bête, Le Roi Lion, Aladdin ou encore Dumbo,
difficile de ne pas faire une grimace de principe et d’être instinctivement
hostile à l’évocation d’un nouveau film sur Mary Poppins. Je voyais déjà venir
ce même mélange hybride, ingrat, ridicule et révoltant entre un pleutre remake et
une suite opportuniste. Les premières images et les premières informations
n’avaient rien de rassurant, en ce qui me concerne, et pour moi, l’affaire
était réglée. Je n’irais pas voir ce
film, pas plus que les autres, je ne soutiendrais surtout pas cette démarche.
Mary et moi
Si les romans sont principalement
connus au Royaume-Uni, comme pour beaucoup d’enfants à travers le monde Mary Poppins a été ma première
comédie-musicale, et surtout, un excellent souvenir de cinéma. Et pas qu’un
souvenir ! Il s’agit là d’un de mes Disney et films préférés. La beauté
chique & pétillante de Julie Andrews, douce et stricte à la fois ; son
fameux sac magique, et son pouvoir de ranger une chambre en désordre en un
claquement de doigt ; la drôlerie, la bienveillance et la sympathique
immaturité de Bert, sorte d’oncle idéal, un jour artiste de rue, un jour
ramoneur ; le Londres du début du XXe siècle ; les séquences, entre onirisme & réalisme, mélangeant film et animation ; les incroyables musiques & chansons des
frères Shermann.
Cet univers a beaucoup compté pour moi, et compte encore. J’aime
toujours autant revoir ce film, écouter ou fredonner ses chansons, Mary Poppins
est une figure féminine qui m’a durablement marqué, et idem pour Bert en figure
masculine (plus encore, même – la scène où il explique à Jane et Michael
pourquoi leur papa est parfois sévère ou triste m’a toujours bouleversé).
Quand
est sorti Saving Mr Banks (2014), le
film racontant la genèse de l’adaptation de Mary
Poppins par Walt Disney, j’étais au rendez-vous. Je suis allé le voir avec
enthousiasme, et si je n’ai pas trouvé le film parfait, il m’avait énormément
ému et touché, bien aidé par son magnifique casting m’allant droit au cœur (Tom
Hanks en Walt Disney ; Emma Thompson ; Paul Giamatti ; et une
interprétation particulièrement sympathique et juvénile des frères Shermann, le
duo de compositeurs), en ajoutant à cela une musique de Thomas Newman. Un
très bel hommage au film de 1964, et à la créatrice de Mary.
Méfiance de principe
L’idée de « profaner » un
film si réussi, comme cela avait déjà été fait avec La Belle et la Bête, et va être prochainement fait pour Le Roi Lion, de repomper sans vergogne
ces films, de resservir à une génération adulescente la soupe qu’ils ont tant
aimée dans leur enfance, avec le fumeux prétexte d’un changement de
technologie, et dans une débauche de fan service qui aide la médecine à couler et propre à anesthésier les esprits les
plus critiques et récalcitrants à coup de nostalgie, tout cela me rendait
malade, d’autant plus avec un film, un univers et des personnages qui me sont
si chers.
Quelques signaux étaient pourtant
au vert.
D’abord, l’actrice Emily Blunt me
semblait un excellent choix ! Une des quelques (rares) actrices
contemporaines que j’apprécie beaucoup, qui est capable aussi bien de se
montrer sèche qu’adorable, ingrédient clé pour incarner la nounou british, sans
parler de sa beauté qui, pour n’avoir pas la finesse de celle de Julie Andrews
à l’époque, la surpasse en bien d'autres aspects, se fond parfaitement et avec une troublante évidence dans le
costume.
Autre signal au vert : le
réalisateur, Rob Marshall, qui a réalisé l’adaptation de la comédie musicale Chicago, et qui justifie donc d’une
expérience convaincante en la matière, malgré ce qu’il a pu faire par la suite
pour Disney peu après le succès de Mémoire
d’une Geisha.
Tout cela était bien sympa, mais
guère assez pour justifier le remake/suite tant redouté.
Signaux au vert & sursaut de hype
Mais depuis une poignée de jours,
les indicateurs commencent à s’affoler doucement, et les signaux passent de
plus en plus au vert. La sortie du film, Mercredi 19 Décembre, est imminente.
Les premières critiques professionnelles tombent, ça et là, et sont
transportées. Encore un joli sort de la nounou sorcière ?
Les trailers cessent de jouer sur
cette foutue nostalgie à coups de clin d’œil et de fan service, et passent
enfin à table en dévoilant le contenu du film. Et là où on s’attendait à voir
des reproductions paresseuses et trop fidèles pour être honnêtes des scènes du
premier film, on découvre plein de situations inédites, de scènes alléchantes,
non pas un remake, mais ce qui semble être une vraie suite, avec un contenu
inédit.
Soudain, l’idée d’une suite prend du sens, et révèle tout son potentiel. Après tout, Mary Poppins est une série de livres – 5, à ma connaissance – et le premier film a essentiellement adapté le premier volume. Le deuxième s’appelle Mary Poppins returns / Mary Poppins est de retour, or, c’est exactement le titre de cette suite au cinéma. Il ne s’agirait non pas d’un simple remake, mais bien d’une suite – tardive, mais d’une vraie suite. Ils avaient seulement ma curiosité ; ils ont maintenant mon attention.
Habile casting
Le casting complet du film est
alléchant ; clairement pas un argument suffisant pour légitimer ou sauver
une bouse de remake ; mais un véritable bonus pour embellir & asseoir
une suite inspirée et motivée. Emily Blunt est entourée de Ben Wishaw et Emily
Mortimer (deux acteurs anglais bien connus des cinéphiles, qui reprennent
respectivement les rôles de Michael et Jane, adultes), de Colin Firth, de Meryl
Streep (on ne les présente pas), mais aussi de Julie Walters en servante
(inoubliable professeur de danse de Billy Eliott dans le film éponyme, et mère
de Ron Weasley dans les Harry Potter,
pour les geeks), et enfin, de Lin-Manuel Miranda et son nom improbable,
initialement chanteur de hip hop, mais qui fait des débuts très remarqués dans
le cinéma et la télévision depuis quelques années ; pour les fans de Dr House, il reste l’excellent Juan
Alvarez, compagnon de chambrée & acolyte de House à l’hôpital psychiatrique
de Mayfield. Il joue ici un ersatz de Bert le ramoneur, Dick Van Dike,
l’interprète d’origine, étant évidemment trop vieux pour reprendre son rôle…
mais pas assez pour nous priver complètement de sa présence ; il reprend
le rôle du vieux banquier véreux qu’il interprétait en 1964, à la fin du film…
avec un peu moins de maquillage nécessaire, on s’en doute. On retrouverait
aussi Angela Landsburry, actrice anglaise bien connue des anglo-ciné-philes,
qui a beaucoup collaboré avec Disney dont elle est un peu la « mamie de
service », et qui avait entre autres prêté sa voix pour Mrs Samovar dans La Belle et la Bête.
Ce qui fait particulièrement plaisir
dans tout cela, c’est de voir que Disney n’a (bien étrangement &
miraculeusement) cédé à la tentation de « gonfler » son casting et d’appâter
le chaland en y intégrant au forcing 2-3
de leurs chouchous protégés si admiré voire surcotés par les générations Y
& Z (comme Emma Stone, Emma Watson, Anne Hathaway en tête, pourtant déjà « fichées »
Disney – pour ne citer que les actrices). Un casting qui a su rester sobre et même
assez « adulte », avec des acteurs reconnus, appréciés, mais pas
ultra-adulés par le régressif public geek.
Julie Andrews ne fera pas
d’apparition « clin d’œil » ou autres caméos. La chose aurait été
bien facile et prévisible. La raison est en particulièrement jolie, et achève
de démontrer toute l’élégance de cette dame : sollicitée pour figurer dans
le film, Julie Andrews a décliné, non par hostilité ou aigreur que son rôle
emblématique soit repris, mais au contraire par amitié, égard et respect pour
Emily Blunt qu’elle dit estimer énormément, et à qui elle a refusé de
« voler la star » ou de parasiter le rôle en venant le reprendre
auprès d’elle.
Emily Blunt fait ici l’unanimité.
Les critiques redoublent d’éloges sur elles et sont sous le charme de cette
nouvelle incarnation de Mary Poppins. Julie Andrews elle-même a adoubé sa
successeuse, et tout le casting, réalisateur compris, de répéter que le rôle
était fait pour elle, qu’elle est la
nouvelle Mary Poppins. La principale intéressée elle-même a confié avoir été
bercée par les livres de P. L. Travers durant son enfance, et se sentir
particulièrement à l’aise dans ce rôle, qui est un rêve pour elle, décrivant
son trouble et son émerveillement d’arpenter la fameuse « Allée des Cerisiers »
(VF – « Cherry Trees Lane », en VO). A confirmer dans le film lui-même,
mais il est vrai que, dès les premières images parues, Emily Blunt s’est avérée
remarquablement belle et convaincante dans le costume de Mary Poppins.
Esthétique prometteuse
Des extraits d’une intrigante
poésie visuelle à l’image des romans orignaux, un casting british AAA, une
suite assumée, un réalisateur à l’aise avec les musicals ; à tout cela, s’ajoute un très réjouissant retour de
l’animation traditionnelle ; malheureusement pas à l’état de long-métrage
(un jour, peut-être ?), mais se mêlant aux prises de vue réelles, comme
dans le premier film. Pas de CGR pour les créatures magiques ! De
l’animation ! Quelle belle surprise !
Ravissement visuel prolongé et
confirmé par une affiche absolument splendide et d’une remarquable beauté,
invitant au rêve et invoquant tout un imaginaire d’aventure onirique et de
littérature enfantine anglaise. Un Londres esthétisé, des scènes comme sorties
d’un conte, une Mary Poppins rayonnante, une affiche « à
l’ancienne ». Soudain, le niveau de hype décolle, dans un surprenant
revirement. Et si on tenait là un bon film ? Le digne prolongement de son
prédécesseur ? Une nouvelle aventure de notre nounou favorite déjà appelée
à devenir culte et à bercer de nouvelles enfances ? En tout cas, je peux dores et déjà dire que, si le film s'avère réussi ou me plait assez, cette affiche atterrira immédiatement en grand format sur un des murs de mon appart ! Je crois n'en avoir pas vu d'aussi belle et fascinante depuis Anastasia en 1998 !
Mais comme Mary Poppins nous y
inviterait elle-même, dans ce mélange de sévérité et de douceur dont elle a le
secret : il faut garder son calme et ne pas trop s’emballer.
Prudence, tout de même
Une méfiance tenace et profonde
subsiste à la seule idée que Disney tire les ficelles, et qu’on les voit
capables du pire ces derniers temps, autant qu’ils le furent autrefois du
meilleur. Le sans faute serait une bénédiction, un véritable oasis réconfortant
dans ce désert d’inspiration tarie et de paresse crasse ne laissant qu’un aride
tapis de remake opportuniste en guise de paysage. Bien des questions et des
aspects restent encore sans réponses pour confirmer l’éventuelle réussite de ce
film, à commencer par la musique, élément crucial, essentiel, qui peut
facilement le faire basculer, ne suffisant sans doute pas à rattraper les pires
défauts, mais largement nécessaire pour confirmer les plus belles qualités,
d’autant plus qu’il s’agit bien d’une comédie musicale. Le livret sera de
première importance. Il faut une inspiration de taille pour rivaliser avec les
tubes que sont l’excentrique et hilarant
« Supercalifragilisticexpialidocious », l’enjoué « Medecine go
down », le mélancolique et poignant « Feed the birds ».
Autre crainte, plus personnelle
et subjective, la présence de Meryl Streep. C’est une grande actrice, que
j’apprécie énormément dans plusieurs rôles, mais je l’ai toujours trouvée plus
dans son élément dans les drames, plutôt que dans les rôles comiques. Son rôle
de Miranda Presley dans Le Diable
s’habille en Prada était le parfait juste milieu, mais j’ai beaucoup moins
apprécié ses prestations dans Mamma Mia
ou dans Les Orphelins Baudelaire. A
vue de teasers, je vois ici poindre un personnage qui se veut décalé, allumé,
mais qui risque de plomber plusieurs scènes à lui tout seul à coup de cabotinage
et de potacheries si on lui laisse trop de terrain.
J’espère aussi que Rob Marshall,
aussi scénariste du film, aura su résister à la tentation de multiplier les
références au premier film ou de nous refaire l’histoire, comme le laisse
craindre la version adulte de Michael incarné par Ben Whishaw, évocation de son
austère père, Mr Banks, tandis que sa sœur, Jane, incarnée par Emily Mortimer,
devenue suffragette, laisse craindre une vague reproduction de Winifred, leur
mère.
Tout cela est à surveiller, et à
juger sur pièce. A ce stade, le film – à mon immense surprise, je ne l’ai pas
vu venir – m’a montré assez de signaux au vert pour que je me déplace le voir
en personne, et que je juge par moi-même. A ce stade, je sais juste que j’ai
envie de le voir. Pas seulement pour jouer les inspecteurs, mais vraiment en
tant que spectateur et grand fan de ce personnage qui m’est si cher. C’est déjà
un remarquable coup, car j’étais on ne peut plus sur la défensive. Les premiers
échos, la magnifique affiche, les éléments de scénarios à ma disposition, les
quelques extraits, tout cela mérite un peu d’attention. Je ne suis pas maso, et
critiquer Disney n’est chez moi pas une passion, bien au contraire ; c’est
un déchirement résigné face au désastre de leur production des dernières années.
Je ne demande rien de mieux que de passer un bon moment, de retrouver la magie Poppins.
Rendez-vous prochainement, ici et/ou au Talk, pour le verdict !
SUPERCALIFRAGILISTICEXPIALIDOCIOUS !
ADDENDUM : LE LIVRET MUSICAL DU FILM
La musique du film, déjà
disponible sur YouTube (depuis 10 jours !)
Une jolie surprise de plus :
Disney, d’une étonnante générosité, a posté en personne l’intégralité de la
bande-originale du film sur YouTube, disponible à l’écoute depuis une douzaine
de jours. Fort de cette heureuse découverte, et fidèle à une de mes vieilles
traditions (les bandes-originales sortent toujours peu de temps avant leur
film, ce qui permet un premier aperçu et d’éveiller l’imagination), je me suis
empressé d’écouter l’intégralité de cette musique. Enfin, l’intégralité… reste
à voir ! La plupart des musiques de films paraissent malheureusement
incomplètes pour tenir sur un CD. Les complete
officielles sont rares, et souvent une galère à trouver officieusement.
Toutefois, ici, il ne semble pas manquer grand-chose. Parlons chiffres, avant
quelques impressions :
La bande-originale compte 27
pistes, dont 14 chansons et 13 morceaux instrumentaux. Un ensemble plutôt
équilibré, donc.
Pour info, la bande-originale du
premier film de 1964 compte 28 pistes, dont 18 chansons et 10 morceaux
instrumentaux.
Marc Shaiman : un choix de
compositeur discutable
C’était le duo musical mythique
de Disney, les frères Sherman, qui composait la musique du premier film. En cet
an de grâce 2018, c’est… Marc Shaiman. Un illustre inconnu du grand public, y
compris d’une bonne partie des amateurs de musique de films ; je ne peux
leur en vouloir de cette lacune, elle est tout à fait excusable par la très
faible notoriété du compositeur, elle-même bien expliquée par sa productivité
aussi modérée qu’inintéressante dans son ensemble. Je le dis sans détour :
je ne l’ai jamais trouvé bon compositeur, ses musiques sont sans relief ni
saveur particulière, et cela même lorsque les films lui permettaient un peu de
fantaisie, comme avec La Famille Addams.
Quand j’ai vu ce nom – qu’en tant
que puriste j’avais le triste privilège de connaître –, cela m’a aussitôt
refroidi et fait redouter la plus ennuyeuse et inconsistante des musiques. Un
problème qui devient monstrueux et fatal lorsqu’il s’agit d’une comédie
musicale comme Mary Poppins.
Qu’est-ce qui leur a pris d’aller chercher ce type ? Parmi tous les
compositeurs, du plus jeune au plus expérimenté, qui peuplent Hollywood sur la
côte Ouest et Broadway sur la côte Est, pourquoi lui ? On se le demande…
Alors, au final, ça donne
quoi ? Et bien, déjà, pour les plus autodidactes et curieux, je renvoie
tout simplement aux musiques toutes présentes en playlist sur YouTube !
Une belle antichambre au film, pour se mettre dans l’ambiance et se faire une
idée.
Splendeur & misère de Broadway
Que dire, donc ?
On est dans un pur Broadway. On
croirait un show musical directement sorti d’un théâtre de New-York : les
airs, les arrangements, l’interprétation ; la signature sonore, musicale
et vocale est manifeste, on est dans la plus pure tradition des dernières
années, ce qui n’est pas toujours aussi nette avec les comédies musicales au
cinéma.
Cette OST m’inspire des
sentiments contradictoires.
D’un côté, elle est d’une certaine
« fadeur ». C’est de la soupe (attention, la soupe, ça peut être
bon !). De la Broadway soap (et
non melody). Les mélodies peinent à ressortir de façon vraiment flagrante. Elle
manque cruellement d’un thème fort, et ceux qui sont censés jouer ce rôle sont
loin d’être à la hauteur. Bien difficile voire impossible de retenir le moindre
air, tant la mélodie est sacrifiée au profit d’une cascade de notes
ininterrompue privilégiant avant tout un rythme effréné et des textes fournis.
Entendons-nous : je ne dis pas que désagréable (au contraire !), mais
juste que sur le plan thématique,
c’est confus. Il n’y a pas de thème fort, plutôt une série de morceaux très
enlevés.
C’est là que va se vérifier
l’impression contradictoire que j’évoquais. Tout en constatant cet aspect
« soupe Broadway » manquant cruellement de thèmes clairement
identifiés et mémorables, je constate aussi à quel point cette OST est
incroyablement dynamique, enjouée, rythmée, optimiste, loin d’être ennuyeuse.
Elle ressemble à une espèce de symétrie inversée de celle du premier film.
Portraits asymétriques des deux OST
Dans le premier film, il y a
beaucoup plus de lenteurs. Le rythme est beaucoup plus modéré. Plusieurs
chansons tendent clairement sur le chiant. Sur les 18 titres, 7, soit un peu moins
de la moitié, émergent toutefois ; mais quels thèmes ! C’est tout le
truc : une OST certes plus « plan-plan » sur l’ensemble, mais
relevée et pimentées de véritables moments de bravoure mémorables et même
inoubliables, immédiatement indentifiables à leur très forte identité sonore et
à leur remarquable force de frappe mélodique que sont : "Medicine go
down" ; "Jolly Holliday" ;
"Supercalifragilisticexpialidocious" ; "Chem
cheminee" ; "Feed the bird" ; "Step in
time" ; "Let's fly a kite". Des tubes ! Qui frappent
immédiatement l’oreille même qui les entend pour la première fois, et s’impriment
en elle.
L’OST de Mary Poppins Returns, c’est l’extrême opposé, dans les avantages
comme les inconvénients. Les mélodies peinent à se mémoriser, aucun thème claire,
marquant ou emblématique ne se détache. Mais, mais, MAIS, cette lacune se voit
largement rattrapée par un ensemble incroyablement cohérent et harmonieux sans
réelle baisse de régime. Si cette musique était une tartine, la confiture y
serait parfaitement étalée sans aucune irrégularité, frisant la monotonie, mais
évitant au moins les zones sèches, tandis que celle du film précédent serait
plus inégale et irrégulières, laissant certes des zones sèches sans confiture,
mais en revanche en accumulant sur plusieurs parties du pain à un degré si
délicieux que cela rattrape le tout. De là, tout est une question de préférence
pour chacun.
Le carrousel fou : une musique
enjouée & virevoltante
On a ici affaire à une musique
extrêmement enthousiaste et diablement optimiste. On se croirait en train
d’arpenter Main Street USA à
Disneyland, avec ses ragtimes survitaminés surgis du kiosk à musique. Assurément,
on ne risque pas de bader avec le
livret de ce film. C’est une fête perpétuelle. La joie de vivre, la magie et
l’émerveillement sont omniprésents dans les notes. On tient probablement un
feel-good movie de premier ordre. En cela, on se différencie encore du premier
film qui pouvait avoir des moments assez plombant, du mélancoliques, ou
carrément austères. Ce qui n’était pas forcément un mauvais point sur plusieurs
morceaux !
Car Mary Poppins Returns peut faillir par où il pèche : la gaieté,
la joie de vivre, l’éclate, c’est super cool ; mais cela peut s’avérer un
peu « superficiel », manquer de profondeur et de grandeur d’âme.
Tristesse nous l’a pourtant bien enseigné dans Vice Versa chez les mêmes Disney : la tristesse et la
mélancolie, cela peut non seulement avoir du bon, mais aussi et surtout, cela
ajoute de la saveur, de la profondeur, du sens et de la beauté au bonheur, aux
bons moments et à la vie en général. A force de faire la java, on en oublie de
se poser. C’était toute la puissance poignante de la chanson « Feed the
bird » dans le premier film. Un air qui prenait encore plus de puissance
en instrumental lors de la destitution de Mr Banks, partant seul à travers les
rues désertes de Londres dans la nuit, pour faire face à son destin.
Magnifique !
A l’écoute de la musique, on est
en droit de douter que Mary Poppins
Returns, dans sa joyeuse frénésie certes bien sympathique, ait oublié d’offrir
ce genre de moments de poésie nécessairement plus lents et mélancoliques.
Ici, ça va vite. Très vite. A
toute vitesse. Avec ses sonorités trépidantes et enjouées, survoltées par
moment, comme tous droits sortis d’un cirque ou du Main Street USA d’un parc Disneyland, l’OST de Mary Poppins Returns a des airs de carrousel fou, qui ne cesse plus
de tourner encore et encore, de plus en plus vite, à mesure qu’approche la fin
du film. C’est un tout autre mode que les montagnes russes, faites de haut et
bas, du premier, qui certes atteignait de plus belles hauteurs, mais au prix de
descentes un peu douloureuses. Ici, pas de montée ni de descente, d’où un
pénible effet de soupe Broadway monotone recyclant ses instruments et ses
sonorités, mais en revanche, une régularité et une cohérence générale, comme le
loop musical d’une attraction qui se répète encore et encore jusqu’au tournis,
et renforçant cette impression de manège virevoltant. On en sent presque une
odeur de barbe à papa et de pop corn sucré en l’écoutant.
Conclusion : A écouté / A
voir !
Evidemment, on est très vite
curieux de savoir à quelles scènes, quelles situations, quelles images peuvent
renvoyer les différentes chansons. En recoupant les titres, les paroles, les
extraits de bande-annonce et l’affiche, on le devine assez facilement :
une scène de plongée sous-marine dans la baignoire ; une virée en
apesanteur à l’intérieur de ballons géants ; une visite dans un
music-hall ; une scène chez le personnage de Meryl Streep qui semble vivre
sens dessus dessous ; une cérémonie d’allumage des réverbères dans les
rues de Londres. Autant d’épisodes qui sont effectivement décrits par P. L.
Travers dans son deuxième livre.
Reste donc à découvrir ces
fameuses séquences, avec leur mise en scène, leur esthétique et leurs
chorégraphies que l’on espère spectaculaires !
Si la splendeur visuelle et
l’inventivité sont au rendez-vous, cela promet de grands moments. La musique
n’atteint certes pas les sommets de lyrisme des frères Sherman, mais elle
s’illustre dans un tout autre genre qui a son intérêt aussi si on accepte de
sacrifier la grâce de la mélancolie : une énergie à revendre, du « Broadway
feel-good » en veux-tu en voilà, un dynamisme remarquable pour une
aventure trépidante. Les références musicales au premier film sont extrêmement
rares et se comptent sur les doigts de la main. On en demandait pas tant !
Et on est presque déconcertés de ne pas retrouver au moins un ou deux thèmes
principaux qui auraient pu faire la liaison, installer mieux le personnage sans
pour autant laisser soupçonner du repompage. Mais non. Marc Shaiman a voulu
faire le grand garçon et a proposé une version complètement inédite, et en
cela, c’est un élément de plus qui confirme ce film comme autre chose qu’un
vulgaire remake, mais bien une œuvre originale qui semble se démarquer
respectueusement de son ainée avec une signature visuelle et sonore très
différente. Ce serait une excellente chose, et on ne peut que souhaiter en voir
la confirmation très prochainement !
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