MY WEEK WITH AUDREY - DAY 6. SATURDAY. "PARIS WHEN IT SIZZLES" (1963)


MY WEEK WITH AUDREY - DAY 6. SATURDAY. 
"PARIS WHEN IT SIZZLES" (1963)


PITCH. INT. JOUR. UNE CHAMBRE D’HÔTEL A PARIS. Richard Benson est un scénariste paresseux, charmeur et très porté sur la bouteille à qui il ne reste qu’un week-end pour écrire les 130 pages de scénario commandées par son producteur. Pour l’assister dans cette écriture marathon, on lui envoie une ravissante secrétaire dactylo, Gabrielle Simpson. En bon procrastinateur, Richard est au point zéro et tout reste à faire, en à peine 2 jours. Tout ce qu’il a, c’est un titre aussi charmant que farfelu : « The Girl who stole the Eiffel Tower ». Heureusement, la douce présence de la jeune femme a un effet rafraichissant et revigorant sur le scénariste dont l’inspiration part dans tous les sens. Sa deadline étant le 14 Juillet, le « Bastille Day », Richard décide d’y situer son intrigue, tout en créant une héroïne et un héros qui ressemblent à s’y méprendre à sa secrétaire et lui…
Dans une vaste mise en abyme (un film dans un film), dans un va et vient permanent entre imaginaire et réalité, dans une improbable intrigue pleine de rebondissements mêlant comédie, romance et polar, entre la chambre d’hôtel et un Paris fantasmé, de scènes en scènes, de fondus enchainés en ellipses, de réécritures en coupures, le scénario s’écrit et se construit sous nos yeux au gré des échanges de Richard et Gabrielle.
Entre l’inventif/séduisant scénariste et l’espiègle/spirituelle secrétaire, la complicité est immédiate, les idées fusent et les répliques s’enchainent. Les limites entre les héros et leurs créateurs se brouillent de plus en plus, jusqu’à ce que les sentiments finissent par franchir les frontières de la fiction et par déborder sur la réalité…     



COMMENTAIRE. Paris when it sizzles (« Deux têtes folles ») est techniquement le deuxième film avec Audrey Hepburn que je voyais. Le premier depuis mon lointain visionnage de Breakfast at Tiffany’s. Affaire purement de circonstance : lorsque j’ai commandé les 6 films en DVD, c’est le premier que j’ai reçu, et n’ayant pas encore décidé de m’organiser une rétrospective chronologique sur une semaine, la tentation était trop grande de voir le film sur l’instant, en attendant les autres. Je ne savais pas forcément où j’allais. J’avais étudié un à un chacun des films d’Audrey (lectures & extraits vidéos) pour déterminer lesquels j’allais regarder, et celui-ci m’avait tapé dans l’œil par son concept (mise en abyme, réflexion méta-filmique sur le cinéma, travail de création scénaristique) et par la folie douce qui se dégageait de sa bande-annonce. Ce n’était pourtant pas les éléments décourageants qui manquaient. Le film se prenait de méchantes remarques même par les fans les plus assidus d’Audrey, et étaient traité avec un certain dédain. Mêmes les plus indulgents reconnaissaient qu’il ne s’agissait pas d’un très bon film, mais que c’était sympa. Coup de grâce : j’ai fini par apprendre qu’Audrey Hepburn elle-même, bien qu’ayant pris beaucoup de plaisir à le tourner, comptait ce film parmi ceux qu’elle aimait le moins. Pas glop.

POURQUOI TANT DE HAINE (CONTRE CE FILM) ?
Si je m’étais laissé influencer (ne serait-ce que par Audrey elle-même !), je me serais sans doute dégonflé. Mais j’ai préféré me fier à mon intuition, ayant la tenace impression que ce film allait beaucoup me plaire, et qu’Audrey s’y trouvait en grande forme. Je ne regrette vraiment pas d’avoir insisté car, de fait, j’ai adoré ce film ; et même maintenant que j’ai vu l’essentiel de la filmo d’Audrey, dont un deuxième visionnage de Paris when it sizzles, je peux confirmer que non seulement je l’apprécie énormément, mais qu’en plus il est probablement dans mon top 3 ou 5 ! Je vais donc avoir deux « lourdes » tâches dans ce commentaire, contrairement aux précédents : prendre sur moi de défendre l’honneur de ce film mal aimé, mais aussi y aller complètement de mes propres réflexions, puisque – conséquence tristement logique de son impopularité – il est extrêmement peu commenté et documenté sur le Net.

Mais d’ailleurs, pour commencer, qu’est-il reproché à ce film au juste ? Bonne question ! A laquelle je n’ai aucune réponse précise ! Tout le monde y va de son petit commentaire pour le dénigrer ou le remettre à sa place de film mineur ou secondaire, sans forcément se donner la peine d’argumenter ou d’être clair dans ses critiques. Les reproches se laissent toutefois déduire d’eux-mêmes : une intrigue improbable et décousue, d’une part ; le sur-jeu et le cabotinage des acteurs, d’autre part. Très exactement les aspects qui, pour moi, font toute sa qualité, découlent logiquement de son postulat méta-filmique, et qui en font une réussite. Une ultime raison qui, pour le coup, n’est pas prouvable et n’est qu’une hypothèse soupçonneuse de ma part : un certain snobisme. Ce film n’entre ni dans la lignée des comédies glamours d’auteurs façon Breakfast at Tiffany’s ou Sabrina ; ni dans les grands films musicaux type Funny Face et My Fair Lady ; et encore moins dans les grands rôles de compositions dramatiques d’autres films aussi « oubliés » du grand public, mais sauvés par leur nature plus « sérieuse » comme A nun’s story ou The Unforgiven. C’est une pure comédie, délirante et décomplexée, et je pense que pour beaucoup des admirateurs d’Audrey qui la prennent, elle ou sa filmographie, un peu trop au sérieux, comme quelque chose de sacré et devant répondre à certain standing, ce film gêne, dérange, fait un peu office de gentil nanar que l’on préfère traiter en petit boulet de la famille. Mais c’est là que pour moi il y a déjà une énorme erreur de jugement, car on a justement affaire à un film plein de dérision qui ne se prend pas du tout au sérieux et, en cela, échappe à tout le ridicule que lui auraient donné des prétentions. C’est une joyeuse farce, une jubilatoire récréation d’acteurs, un exercice de style extrêmement ludique. De là, quoi faire sinon entrer dans le délire et savourer ? Rien d’indigne là-dedans ; rien de honteux ou d’excessivement régressif. Mais on a l’habitude de ce type de réception snobs, aussi bien en cinéma qu’en littérature, et tout particulièrement lorsqu’un auteur, un réalisateur ou un écrivain ont gagné en prestige.


REMAKE D’UN FILM FRANÇAIS : SUBLIMATION AMERICAINE
Mais avant toute chose, rendons à César : Paris when it sizzles est un très libre remake d’un film on ne peut plus français, de 1952 (11 avant la version US) : La Fête à Henriette, de Jean Duvivier et. Dans ce film, deux hommes scénaristes tout juste blackboulés par la censure, sont à la recherche d’une nouvelle histoire. Assistés leur astucieuse secrétaire dactylo, ils vont échanger idées sur idées et élaborer une improbable intrigue autour d’une jeune femme nommée Henriette, dont la fête coïncide avec la Fête Nationale du 14 Juillet. Je précise d’entrée que, par pure curiosité et pour affiner mon point de vue sur la version américaine, j’ai vu cette version française d’origine.


Bien sûr, on retrouve déjà d’évidents points communs entre les deux films : le postulat tout d’abord (un film qui va s’inventer et se créer en même temps qu’on le regarde à travers les échanges de deux personnages ; avec tous les procédés originaux de mise en abyme que cela implique), Paris, la date et l’événement du 14 Juillet, une héroïne, une intrigue fantaisiste et farfelue mêlant romance, comédie et polar, ainsi que plusieurs éléments comme la récurrence des bals musettes et autres ginguettes en plein air. Je suis tenté de dire que ce sont là les seuls points communs des deux films, tant la version américaine prend vite le large avec ses propres idées.

J’ai bien apprécié la version française, du moins la première demi-heure. Le film démarre beaucoup plus vite dans son postulat et les gags astucieux s’enchainent autour des désaccords et des changements d’avis des deux scénaristes, l’un particulièrement optimiste, l’autre particulièrement pessimiste. Pendant toute cette première demi-heure, je me suis sérieusement demandé si, finalement, je n’allais pas me retrouver à considérer la version française comme meilleure. Mais dès que l’intrigue a commencé à s’installer, que la phase de querelle créative des scénaristes s’est de plus en plus effacée derrière l’histoire qu’ils inventaient, j’ai décroché. Qui plus est : aucun des interprètes ne m’est apparu avec un charisme suffisant pour capter mon attention à lui tout seul. C’était marrant pendant le premier tiers (si ce n’est le premier quart…) du film, et puis c’est comme devenu trop sérieux, et penchant trop vers le polar.


Paris when it sizzles démarre moins au quart de tour, il prend un peu plus de temps pour installer la relation entre ses personnages et va continuer tout le long d’en faire un enjeu important, et pour cause : contrairement au film français où on a affaire à deux hommes scénaristes et juste collègues, dans la version américaine on a un incontournable couple de comédie romantique avec le scénariste et sa secrétaire. La carte de la double romance (réalité / fiction) est instaurée d’entrée, et va largement insuffler plus de glamour et de légèreté au film. Un glamour largement confirmé et couronné par les deux interprètes du couple en question que sont William Holden et Audrey Hepburn, deux stars de l’âge d’or Hollywoodien, duo déjà immortalisé dans Sabrina (1954) de Billy Wilder. Autre détail, purement technique mais pas anodin : le film français était en noir et blanc, le film américain est en couleurs, et sait en jouer, offrant une photographie lumineuse et chatoyante. Autant d’éléments isolés qui, combinés, contribuent à transfigurer le charmant petit exercice de style français en joyeuse comédie romantique feel good.     

Comme si cela ne suffisait pas, la version américaine continue de dégainer les atouts charmes et d’ajouter une sérieuse dose de glamour et de fantaisie, de métadiscours et de dérision au film original, avec entre autres beaucoup de clins d’œil parodiques et de sacrés caméos : Marlène Dietrich fait une apparition incroyablement fugace et limite indigne de sa notoriété ; la voix de Frank Sinatra surgit par surprise pour entonner le titre du film : « The Girl who stole the Eiffel Tower – also stole my heart ». Mais la palme de l’auto-dérision revient à Tony Curtis qui, trois ans après le superbe Certains l’aiment chaud de Billy Wilder, n’hésite pas à jouer dans toutes les postures les moins flatteuses, à se faire traiter en vulgaire figurant ou en boulot durant tout le film, et même à ne pas se faire créditer ! Absolument dingue pour un acteur de cette envergure. Enfin, il y a les décors : une spacieuse et chaleureuse suite d’hôtel ; un studio de cinéma et ses décors exotiques, renforçant la mise en abyme tout en ajoutant de l’esthétique et du glamour ; et bien sûr, la Tour Eiffel bien exploitée avec une fête costumée dans les étages de la dame de fer. Le film va offrir son lot de jolies scènes parfois poétiques, comme ces moments où Richard, le scénariste, étale une à une les feuilles de son script sur le sol comme autant de galets semés derrière lui pour former un chemin jusqu’à lui ! Un procédé si esthétique et bien trouvé, qu’il sera utilisé deux fois dans le film. Et à propos de Richard, venons-en à son interprète.       


DR WILLIAM ET MR HOLDEN
Il s’agit du premier film où j’ai vu William Holden ; c’est peu de temps après que je l’ai enfin découvert dans de deux de ses films les plus emblématiques, issus de sa glorieuse collaboration avec Billy Wilder : Sunset Boulevard (1950) et Sabrina (1954). Je ferais bondir n’importe quel cinéphile ou fan de cet acteur avec ce que je vais dire, mais je le dis quand même en toute franchise : j’ai largement préféré William Holden dans Paris when it sizzles. Et cela va contre tout le bon sens possible, j’en ai conscience, puisque sa grande époque est passée à ce moment-là, que l’acteur apparaît moins « frais », et pour cause : il était profondément alcoolique à ce stade. Pour ma part, ce que je constate, c’est qu’entre son apparence lisse et gominée, son rôle de gigolo dans Sunset Boulevard et son rôle de playboy dans Sabrina, il m’est apparu assez antipathique et tête à claque. Dans Paris when it sizzles, l’acteur a… pris de la bouteille, au sens littéral comme au sens figuré. C’est absolument pathétique, déplorable et condamnable sur le premier aspect, mais absolument bénéfique sur le second. L’acteur apparaît beaucoup plus sympathique, naturel, et les lunettes à épaisses montures noires lui vont particulièrement bien, lui donnant un bon petit air intello seyant bien à son personnage. Plusieurs sources concordantes détaillent le véritable problème qu’a été l’alcoolisme de l’acteur, forçant entre autres à aménager le planning de tournage en conséquence. Si la situation semble avoir été compliquée voire calamiteuse côté back stage, on stage rien n’y parait ; l’acteur semble très en forme, son élocution est claire, son œil est vif, son charme opère, il enchaine les répliques et les longues tirades, et mêmes les scènes élaborées, sans difficulté apparente pouvant troubler l’expérience du spectateur. Loin de sa tête à claque de playboy blondinet, il revient avec une bonne tête, une cinquantaine fringante et ombrageuse.


Côté coulisses, le cas de William Holden est assez touchant (ou pathétique, selon la sévérité du regard qu’on y portera). L’acteur, qui est donc sérieusement alcoolique, ne s’est jamais remis de sa rupture avec Audrey Hepburn après leur idylle passionnée sur le tournage de Sabrina. Nous avons détaillé cette histoire dans l’article du film en question, mais rappelons ici que cette relation avait été rompue dans la douleur par la jeune actrice lorsqu’elle avait appris (et vécu comme une terrible trahison) le fait que William Holden était stérile depuis une vasectomie. Pour Audrey Hepburn ne concevant pas une union sans enfants et sans familles, c’était là un critère éliminatoire, même avec tout l’amour du monde. Exactement le genre d’histoires proches du « chef d’œuvre » et foirant pour un truc « con » mais tellement essentiel à la fois, qu’il y a de quoi s’en mordre les doigts et ruminer jusqu’à la fin de ses jours, et c’est manifestement ce qu’a fait William Holden ; on le comprend. On ne sort pas indemne et assurément à jamais bouleversé d’avoir été presque fiancé à Audrey Hepburn et de le voir filer pour une chose à laquelle on ne peut plus rien. Les deux acteurs n’étaient pas censés vivre cette « épreuve » délicate de se recroiser sur un tournage, mais un contrat les liant à la Paramount (société de production commune à tous les films que nous avons commentés, donc les plus importants de la carrière d’Audrey) les a forcés à faire un nouveau film ensemble. Ce n’est pas l’actrice que cette situation a le plus embarrassée, mais bien l’acteur, qui confiera plus tard qu’en arrivant à Paris pour le tournage, il était vraiment mal et terrifié. Terrifié car il lui faudrait gérer son problème d’alcool pour être au meilleur de lui-même, mais aussi et surtout, car il lui faudrait faire face à Audrey, la revoir, et même la toucher, l’embrasser pour les besoins du rôle. Cela ressemble soit à une cure homéopathique prescrite par le sort, ou à une mauvaise blague cosmique bonne à entretenir le mal être d’Holden. L’acteur a aussi mentionné sa honte de se montrer si vieilli et abimé par ses abus devant l’actrice de quinze ans sa cadette, au sommet de sa gloire, et plus belle que jamais. Troublante coïncidence de scénario ou malicieuse mise en abyme, le personnage de William Holden, le scénariste Richard Benson, est lui-même très porté sur la bouteille, et en fin de film, il nous offre un douloureux monologue désabusé sur son alcoolisme et le fait qu’il ne mérite pas une nouvelle chance en amour, ce qui le pousse à éconduire sa ravissante secrétaire. Soit c’est le hasard qui est cruel, soit ce sont les scénaristes qui ont sadiquement joué avec l’historique des acteurs. Non, vraiment, entre son rôle on stage et ses démons back stage, William Holden me fait vraiment de la peine et arrache ma sympathie pour ce film.


Mais venons enfin à celle qui est clairement la principale et plus fondamentale différence entre la version française et la version américaine du film, en plus du principal atout de ce dernier : Audrey Hepburn, évidemment.

UN FILM TOUT EN HOMMAGE A AUDREY
Le film ne se contente pas de placer Audrey au centre de sa double intrigue, il s’avère en réalité conçu sur mesure autour de sa personne et se révèle être une surprenante et officieuse déclaration d’amour à l’actrice à chaque plan, presqu’à chaque dialogue.


Cela prend d’abord la forme d’une succession de références souvent appuyées à tous les grands films qu’elle a tournée pour la Paramount (tous ceux de notre sélection). Roman Holiday lorsque Richard sépare délicatement la frange qui couvre le front de la jeune femme, reproduisant exactement le geste du coiffeur qui vient de couper les cheveux de la Princesse Ann à Rome. Sabrina, par la seule réunion du duo Holden/Hepburn, mais aussi la présence de cette dernière à Paris. Breakfast at Tiffany’s, lorsque Richard évoque une « prostituée au grand cœur » ou, plus explicitement encore, lorsque le titre du film est carrément nommé en toutes lettres au détour d’une tirade. Même My Fair Lady, qui ne sera pourtant tourné qu’un an plus tard, est évoqué avec insistance par Richard. On a bien du mal à y voir une simple coïncidence ; nul doute qu’à ce moment là, il était déjà convenu qu’Audrey Hepburn hériterait du rôle d’Eliza Doolittle. Last but not least, le rôle emblématique d’Audrey dans Funny Face fait l’objet d’un hommage des plus explicites et appuyés, lorsque tourne le vinyle d’une chanson nommée « That Face », interprétée  par Fred Astaire (partenaire d’Audrey dans Funny Face), dont les paroles, extrêmement voisines de celles de « I love your funny face » dans le film de Stanley Donnen, sont une occasion de plus à l’écran de célébrer la beauté de l’adorable visage de l’actrice.

That face, that face, that wonderful face
It shines, it glows, all over the place
And how I love to watch it change expressions
Each look becomes the prize of my possessions.

I love that face, that face, it hmmm, just isn't fair
You must forgive the way that I stare
But never will these eyes behold a sight that could replace
That face, that face, that face.

I see that face, that face, wherever I go
It's here, and it's there, bewitching me so
It's got my crazy heart in such a tangle
It drives me simply wild from any angle.

I love those eyes, those lips, that ooo... fabulous smile
Never will these eyes behold a sight that could replace
That face, that face, that face.

La chanson s’arrête ici dans le film. Mais accordons-nous le plaisir de poursuivre les paroles qui ne cessent pas de s’appliquer si parfaitement au doux visage d’Audrey :

He laughs and Spring goes right out of style
And oh, the thrill I feel each time my fingers gently trace
That face, that face, that face.

Oh, what a face, that face, it lights up a room
Intoxicates like heady perfume
No painter or photographer could catch it
No rainbow or no sunset ever match it.

Beneath the moon, the stars, ahhh, under the sun
Asleep, or awake it's second to none
What view completes my universe
Transcending time and space
That face, that face, that face.
Oh that face
That face, that face, oh, that face.

Tandis que résonne la chanson, Richard observe Gabrielle, tourne autour d’elle, la cadre comme un photographe, exactement comme dans la scène de Funny Face avec Fred Astaire ; touche finale et non des moindres : on retrouve même les gros plans sur le visage d’Audrey et son magnifique sourire. Là encore, je vais oser un petit sacrilège qui n’a pour lui que sa candide sincérité : je trouve cette ode au visage d’Audrey encore plus jolie et réussie que dans Funny Face. Des deux chansons d’Astaire, That Face est carrément plus mélodique et agréable à entendre, les paroles sont encore plus jolies et poétiques, et les cadrages de la scène sont ici beaucoup plus soigneux, insistants et serrés, prenant le temps d’isoler les yeux, les lèvres et le sourire d’Audrey dans un plan qui s’élargit sur son visage à mesure qu’il l’illumine. Absolument parfait !


Ce moment magique, bien qu’étant un sommet, est loin d’être complètement isolé. L’ensemble du film est un peu à cette image, à chaque plan, large ou serré, sur Audrey ; et ils sont nombreux (pour notre plus grand plaisir). Clairement, le réalisateur ou le chef opérateur/directeur de la photographie était « amoureux » de l’actrice, pour porter un tel soin à la façon de la filmer et pour la mettre si bien en valeur. A ce sujet, j’ai vu plusieurs fois passer une anecdote selon laquelle l’actrice aurait poussé le premier chef opérateur vers la sortie en constatant son travail peu flatteur et aurait suggéré un autre chef op’ avec lequel elle avait l’habitude de travailler et qui savait parfaitement la cadrer et l’éclairer. Ces anecdotes de « caprices de stars » ne sont pas si courantes avec Audrey Hepburn (elle laisse toujours une bonne impression, de gentillesse et de bonne humeur sur les tournages), ce qui attire d’autant plus notre attention dessus. Le fait est en tout cas que, de toute évidence, l’actrice a eu raison d’insister, car le résultat est flagrant à l’écran. On n’a peut-être jamais vu Audrey plus belle et plus craquante, alors qu’elle va sur ses 34 ans ! Chaque plan d’elle est un émerveillement, et le réalisateur nous gâte et s’en donne à cœur joie en la filmant amoureusement, multipliant les occasions de la contempler sous tous les angles. On ne peut que remarquer des plans récurrents et discrètement insistants sur les pieds déchaussés ou carrément nus de l’actrices (ces fameux pieds trop grands [39/40] qui ont marqué pas mal de partenaires), mais aussi la mise en valeur de ses « big magic eyes » tels que tendrement nommés dans le film par Richard lui-même. On touche à la volupté lorsque le réalisateur attarde sa caméra de façon insolite mais si irrésistible sur la nuque d’Audrey, superbement dégagée et mise en valeur par le chignon qui relève ses cheveux.


Ses cheveux, justement ; une scène les montre tandis qu’elle les libère sur son dos nu. Mais la plus belle apparition de sa longue chevelure brune est clairement ce moment, dans la chambre orientale du studio de cinéma, où elle les détache et les laisse retomber autour de son visage avec un air suave et enjôleur ; elle est alors presque méconnaissable, car telle qu’on l’a rarement vue. Et cela ne s’arrête même pas là.


Une fois de plus et comme toujours depuis Sabrina, Audrey est évidemment habillée sur mesure par son ami Hubert Givenchy. Si je n’ai pas toujours apprécié à sa juste valeur le travail du couturier sur sa Muse (déjà trop sophistiqué pour moi, qui ne trouve jamais Audrey plus jolie que naturelle et simplement vêtue), dans ce film, je suis absolument fan de l’apparence qu’il a donnée à l’actrice : une ravissante petite robe jaune extrêmement simple, assortie d’un chapeau tout aussi simple, le tout d’une sobriété rafraichissante. Après la robe noire à perles, les longs gants assortis, les lunettes Ray Ban, le fume-cigarette, les cheveux parsemés de mèches blondes, et tout cet attirail sophistiqué et trop bling-bling pour moi, on retrouve enfin Audrey au naturel, le meilleur ornement de la véritable beauté et le seul qu’il lui faille. 

Mais l’aspect auquel je suis sans doute le plus sensible et sur lequel le film, par sa mise en scène et sa direction d’acteur, nous gâte le plus, c’est sur l’un des plus immenses et mémorables points forts du charme d’Audrey : l’expressivité de son visage. Toutes ces mimiques, ces regards, ces expressions qui illuminent ses traits et en varient inlassablement la physionomie, en renouvèle sans cesse la beauté, en fait un véritable spectacle vivant, ce qui le fait passer d’une beauté purement esthétique à une beauté sensible, qui inspire tant d’émotions et nous touche durablement, qui attendrit notre cœur bien plus encore qu’elle ne charme nos yeux. Ce à qui renvoient, justement et très exactements, ces paroles de la chanson « That Face » :

« It shines, it glows, all over the place / And how I love to watch it change expressions »

C’est exactement cela. Et côté expressions dans le visage d’Audrey, ce film est un véritable festival ! Jamais, dans aucun autre film de sa carrière, je n’ai vu l’actrice aussi expressive, lumineuse, aussi « drôle de frimousse », mignonne et craquante, affichant des émotions et des mimiques que l’on n’a vu nulle part ailleurs ; et pour cause ! Cela s’explique clairement et logiquement par un aspect qui a été pourtant reproché au film : le sur-jeu et le cabotinage des acteurs, le fait que le plaisir de jouer finisse par prendre le dessus sur le jeu lui-même, dans sa rigueur et sa sobriété. Seulement, de par le postulat du film (le méta-discours sur le cinéma, la mise en abyme, la parodie, la comédie), ce cabotinage est non seulement bienvenu, mais aussi clairement au service du propos, participe directement au second degré et à la légèreté voulues. Loin de s’en plaindre, de le déplorer ou de s’en agacer, il faut voir dans ce cabotinage l’occasion unique et délicieuse de re-découvrir Audrey Hepburn.



LE MOT DE LA FIN : UN MAUVAIS « HEPBURN », UN EXCELLENT « AUDREY »
Ce festival d’expressions joint à tous ces plans célébrant la beauté de son visage et s’attardant sur des détails de son corps, tout cela participe, avec les nombreuses allusions aux grands films de sa carrière, à un immense hommage, plein de tendresse et d’admiration, de bienveillance et de fascination pour l’actrice. Ce film prend de telles allures de déclaration d’amour à Audrey, joue avec un tel soin sur son apparence et son espièglerie, que l’on n’est pas loin d’une sorte de fan service avant la lettre. Pour toutes ces raisons, si on craque pour elle, je vois mal comment ce film peut laisser insensible et ne pas réjouir, tant son écriture comme sa mise en scène sont amoureusement centrées sur elle, pour en saisir les plus beaux et précieux atouts, les nombreuses et plus rares expressions. On ne l’a jamais vue plus adorable, craquante, naturelle et candide, presque redevenue une adolescente sous l’amoureux regard des caméras d’une équipe de tournage manifestement éprise et conquise.

Je disais à propos de Breakfast at Tiffany’s que ce n’était pas un excellent Audrey, mais le meilleur Hepburn. Paris when it sizzles, deux ans plus tard, serait pour moi l’exacte opposé : pas un excellent Hepburn, certes (peut-être l’un des moins bons, si on en croit beaucoup), mais en ce qui me concerne, peut-être le meilleur Audrey, avec Funny Face.


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