MY WEEK WITH AUDREY - DAY 5. FRIDAY. "BREAKFAST AT TIFFANY’S" (1961)


MY WEEK WITH AUDREY - DAY 5. FRIDAY. 
"BREAKFAST AT TIFFANY’S" (1961)


PITCH. Holly Golightly est une ravissante New-Yorkaise d’à peine 30 ans, fantasque et extravertie, qui vit de ses charmes, dans l’espoir de rencontrer un homme riche qui lui offrira une vie bien établie et à l’abri du besoin. Rentrant souvent au petit matin de ses multiples rendez-vous et autres sauteries, elle ne manque jamais de faire un détour par les boutiques de luxe de la 5e avenue et d’exaspérer son irascible voisin japonais, M. Yunioshi. Paul Varjack est un écrivain gigolo de la trentaine, entretenu par une riche femme qu’il présente comme sa « décoratrice ». Le jeune homme emménage dans le même immeuble qu’Holly, et tous deux se lient immédiatement d’une amitié tendre et ambigüe ; d’autant plus qu’Holly prend tout de suite l’habitude de rebaptiser l’écrivain « Fred », du nom de son frère, engagé dans l’armée, qui lui manque tant. Sous le charme et vivant un regain d’inspiration romanesque, Paul découvre une jeune femme fêtarde, pleine de fantaisie et d’aplomb, mais cachant mal une grande fragilité, une profonde solitude, un sentiment d’insécurité et une tendance à la mélancolie avec ce qu’elle appelle ses « mean reds », version aggravée du blues ordinaire. Une seule chose peut alors la réconforter : se rendre dans la 5e avenue pour contempler les somptueuses vitrines de Tiffany’s, l’enseigne prestigieuse de joaillerie américaine. Là, Holly se sent bien, apaisée, et comme si plus rien ne pouvait lui arriver. Pourtant, son passé compliqué va bientôt la rattraper, quand un homme se présentant comme son époux refait surface ou, pire encore, quand elle se retrouve prise malgré elle dans une affaire de trafic de drogue. Holly se définit à la manière de son chat sans nom, comme une « wild thing » : une créature sauvage, indépendante et indomptable dont personne ne pourra se vanter d’avoir l’exclusivité. Mais alors que Paul lui avoue ses sentiments, et qu’un riche brésilien lui propose un mariage de rêve, Holly - qui a fait de la fuite en avant un mode de survie - va devoir enfin faire face à elle-même…


COMMENTAIRE. Ce film est à la fois le plus culte d’Audrey Hepburn, le premier et le seul que j’ai vu d’elle pendant longtemps (comme beaucoup de gens, je suppose). A force de croiser le fameux portrait d’Audrey associé au film et devenu son plus emblématique, ma curiosité a été piquée. Je voulais percer le mystère de cette petite bouille à la toilette si élégante, et ce titre aussi intriguant en VO qu’en VF : Breakfast at Tiffany’s / Diamant sur Canapé. J’avais alors 21 ans, environ. Ce qui me semblait hyper tardif pour découvrir un film qui avait l’air aussi incontournable et important. Je suis donc resté près de 10 ans sans voir un seul autre film avec Audrey. Non pas qu’elle m’ait déplu ou que le film m’ait déçu. Au contraire, le film a été une excellente surprise, dont j’ai toujours gardé un souvenir délicieux et attendri. Quant à Audrey, elle m’avait épaté, fasciné, déjà beaucoup séduit mais (car, oui, il y a quand même bien un mais) la façon dont elle apparaît dans Breakfast m’a « induit » en erreur (ou plutôt, un mauvais amalgame de ma part m’a induit en erreur) sur le « type » de rôle de cette actrice, sa personne, etc. Et par cette funeste erreur de jugement, je me suis longtemps « méfié » d’elle ou persuadé qu’elle était à l’image de Holly ; profile qui n’est pas vraiment pour me plaire. Heureusement, j’ai toujours gardé un petit béguin pour l’actrice, et je n’ai jamais cessé de « penser à elle », et me revenait sans cesse cette idée de prendre enfin le temps, un jour, de mieux la connaître, de me plonger dans sa vie et son œuvre. Beaucoup d’autres centres d’intérêts m’auront accaparé entre temps, et une fois de plus, c’est mon intuition toujours d’excellent conseil, qui est venue me souffler le nom d’Audrey, sans raison apparente ou particulière, une simple impulsion que j’ai suivie. Et nous y voilà.


Ce qui m’avait saisi et tant surpris avec ce film, c’est sa modernité et sa liberté de ton. De façon tout à fait préjugée, je m’attendais à un film glamour jusqu’au BCBG, très comme il faut, limite guindé et un brin suranné. J’étais extrêmement loin du compte, et mon ignorance m’exposait à une surprise de taille. Un personnage de call-girl, un personnage d’écrivain gigolo, une fête complètement dingue, une scène de vol à l’étalage dans un magasin de farces et attrapes, une scène de strip-tease dans un bar pour adultes. C’est une véritable histoire olé-olé qui nous est proposé, est une galerie de personnages très décomplexés.

RAPPROCHEMENT AVEC ZOEY DESCHANEL & 500 DAYS OF SUMMER
Une héroïne, fantasque, frivole, délurée, charmeuse, jouant avec les hommes, portant une véritable fragilité et une certaine mélancolie. Instantanément, j’ai été amené à relativiser la soi-disant nouveauté d’une Zoey Deschanel, actrice contemporaine particulièrement connue pour ses rôles de jeunes femmes d’une beauté naturelle et féline, fraiche et craquante, aux tenues fleuries et colorées, tout aussi fantasque, frivole et inconséquente, telle que l’on peut la voir dans 500 Days of Summer (2009) de Mark Webb, une révélation du festival Sundance devenu célèbre. Film que j’avais découvert à peine un ou deux ans avant mon visionnage de Breakfast at Tiffany’s, et que j’avais adoré. Mais soudain, ce que j’avais trouvé si original, si singulier, si moderne, ne le paraissait plus tant que cela. Soudain, Zoey Deschanel ne semblait que la vague réminiscence, la pale copie d’une originale la précédant de près de 40 ans. Un profile de femmes irrésistibles, qui font immédiatement craquer et peuvent vite devenir une obsession, mais qui pour cela même sont les plus dangereuses, des beautés empoisonnées, des fleurs vénéneuses, car absolument imprévisibles, insaisissables, légères et inconstantes, vouées à faire souffrir leurs admirateurs et à leur échapper comme ces chats altiers, indomptables et capricieux qui s’esquivent en glissant des mains auxquelles elles auront volé quelques caresses.


On comprend d’autant mieux l’importance symbolique du chat dans Breakfast at Tiffany’s et la façon si pertinente et bien vue dont Holly se compare sans cesse à lui, en se revendiquant indomptable et n’appartenant à personne. Ne jamais s’attacher à une « wild thing », une créature sauvage, répète-t-elle plusieurs fois à ceux qui nourrissent trop d’espoirs à son sujet. C’est un fait notable que ce film fait sans doute partie des très rares et en plus peut-être des premiers où l’animal n’est pas là pour faire mignon ou juste pour faire rire, mais bien comme animal totem du personnage principal et comme reflet de sa nature profonde, mais aussi relation première qui détient la clé de son cœur fermé à double tour. C’est d’abord en abandonnant le chat dans un geste de provocation désespéré, et ensuite en retournant le chercher, qu’Holly met fin à sa spirale psychologique du non-attachement à autrui, reconnaît qu’elle peut appartenir à quelqu’un, et que quelqu’un peut lui appartenir.


Tout comme dans 500 Days of Summer, on est face à un couple très déséquilibré, avec un homme clairement amoureux, sentimental, qui sait ce qu’il veut et n’a pas peur de l’engagement, et de l’autre côté, avec une jeune femme qui est l’opposé, détachée, désabusée, refoulant tout attachement, prétendant ne pas croire au grand amour, et cependant enjôleuse et très ambigüe. La relation nouée dans les deux films mêle moments de complicité idylliques (la scène à Tiffany’s ou aux farces et attrapes dans Breakfast ; la scène à Ikea dans 500 Days of Summer) et moments d’incompréhensions ou de rejet dû au refus du personnage féminin de reconnaître ses sentiments et de sauter le pas du couple. Au-delà de tout ce qui peut les séparer outre-mesure (année de réalisation, détails de l’intrigue, mise en scène, etc.), le dénouement des deux films diffère complètement, puisque Breakfast at Tiffany’s nous offre un magnifique final romantique des plus hollywoodien, là où 500 Jours Ensemble propose une fin amère et limite cruelle qui marque la rupture définitive des deux personnages. La désinvolture et l’inconséquence de Summer atteignent des sommets à peine soutenables, bien loin du bon fond et de la « rédemption sentimentale » d’Holly. La comparaison avec Zoey Deschanel s’arrête bien là, car dès le jour où j’ai découvert Audrey Hepburn, même dans son rôle le plus déluré, j’ai immédiatement constaté les années lumières de classe et d’allure qui les séparaient. Contraire au Lauréat (1967), Mark Webb ne fait aucune allusion explicite à Breakfast at Tiffany’s dans son film ; mais étant donné le nombre de référence et ses inspirations nombreuses, il y a vraiment fort à parier qu’il y avait Holly et Paul quelque part dans sa tête en écrivant son film, et dans plusieurs scènes particulièrement. 


DR HEPBURN ET MRS AUDREY
Audrey Hepburn disait que son rôle d’Holly dans Breakfast at Tiffany’s était ce qu’elle avait fait de meilleur, car cela avait été le plus difficile. Le plus difficile car le plus loin de sa véritable personnalité, Holly étant très extravertie, alors qu’Audrey était une femme introvertie, selon ses propres mots. De fait, maintenant que je me suis beaucoup renseigné et documenté aussi bien sur son œuvre que sur sa carrière, je ne que constater la vérité de cette déclaration, aussi bien de par les éléments biographiques dont je dispose que d’après la dizaine de rôles que j’ai pu la voir interpréter. Pour aller dans le sens de l’actrice à propos du film tout en donnant mon sentiment dessus, je dirais que Breakfast at Tiffany’s est probablement le meilleur film avec Audrey, mais n’est pas le meilleur film d’Audrey ; ou peut-être dans des termes un peu plus claires et éloquents : qu’il s’agit du meilleur Hepburn, mais pas du meilleur Audrey.

Ce qui m’a toujours le moins plu chez Audrey dans Breakfast at Tiffany’s est très exactement ce qui a fait une bonne part de sa légende pour le gros du public : la robe noire très chic avec son énorme collier de perles, le fume-cigarette, les lunettes noires Ray Ban, les mèches blondes et le chignon « banane gonflé » (c’est le vrai nom technique ; ce qui me conforte largement dans le fait de ne pas aimer cette coiffure et de ne lui trouver aucun charme)… Tout cela renvoie à un aspect « bling-bling » que je trouve tout à fait repoussant. Le mot est dur, fort injuste et sonne faux dès que l’on parle d’Audrey Hepburn, aussi je parle bien là du look en question, et non de celle qui, par sa grâce naturelle, parvient à ne pas en accentuer la superficialité. Je n'apprécie pas du tout de voir Audrey trop apprêtée, avec des mèches de couleur qui gâtent sa chevelure naturelle de brunette, et plus que tout il m'est très pénible de la voir en train de fumer, ce que je sais avoir été "classy" à une époque, mais qui est du dernier vulgaire rédhibitoire pour moi. 


D’autant plus maintenant que j’ai pu voir Audrey dans d’autres rôles, des rôles que je sais lui ressembler davantage et qui se trouvent justement être des rôles beaucoup plus sympathiques, « purs », touchants, simples, moins extravertis et superficiels, je fais toute la différence et mesure l’ampleur de l’immense malentendu. Il se trouve que ce type de rôle a été beaucoup plus courant dans sa filmographie, et que c’est pourtant, très exactement, le rôle le plus à part et le plus loin de ce qu’elle était vraiment qui a ironiquement et bien malheureusement fini par la « résumer », dans une confusion facile entre personnage et interprète. Si Audrey Hepburn avait été effectivement été cette femme bling-bling, superficielle, frivole, délurée, volage et dévergondée, nul doute qu’elle n’aurait jamais pu m’inspirer admiration, tendresse ni même sympathie, fût-elle tout aussi belle.   

IL EN FAUT PEU POUR ÊTRE CULTE
On en revient toujours à ce qui fait l’essence, à la fois la magie et toute la malédiction d’un classique : méconnu à force d’être trop connu. Et dans certains cas parmi les plus courants : une suite d’éléments isolés ayant eu un tel impact à eux seuls et ayant résonné avec une telle force dans l’imaginaire collectif, qu’ils finissent par dépasser leur œuvre d’origine, s’en émanciper, voyager en dehors d’elle, accéder au rang d’archétype. Dès lors, même tous ceux qui n’ont pas lu le livre ou vu le film en question (c’est-à-dire la majeure partie du public) en connaît les aspects les plus notables, les plus « cultes », entrés dans la culture populaire ; et même ceux qui ont lu le livre ou vu le film, constateront parfois qu’en dehors de ce qui a très justement et très légitimement imprégné les esprits, il n’y a pas forcément tant que cela à « retenir ». Un des membres de l’équipe de Breakfast at Tiffany’s, dans les récentes interviews présentes dans les bonus du DVD, reconnaît lui-même que nous sommes très nombreux à être bien en peine de résumer le film ou d’expliquer de quoi il parle, tant l’intrigue passe au second voire troisième plan, voire se laisse presqu’oublier à côté des éléments les plus forts que son le personnage de Holly, son apparence, les scènes de début et de fin, etc. Il arrive parfois que la dimension esthétique d’une œuvre ou la seule force de son concept, d’un personnage ou d’une scène, suffise à la fois à éclipser tout le reste et à lui ouvrir les portes de l’éternité. Le meilleur scénario, la mise en scène la plus subtile, ou le style le plus fin ne sauraient être de taille avec la puissance… d’une idée ou d’un concept (la grande leçon d’Inception, bien sûr). Ces deux derniers aspects trouvent leur chemin tout droit vers le subconscient, le cœur de l’imaginaire, et les idées sont contagieuses, virales, leur immense pouvoir de suggestion leur donne un impact concret dans l’émulation qu’elles suscitent. Il en va ainsi de la robe noir à perles ; du long fume-cigarette ; de la vitrine et du croissant ; du personnage de Holly, et autant d’autres éléments ou symboles frappant en plein cœur… de l’imagination !

Je ne suis pas toujours d’accord avec ce type de constats forcément réducteurs (un film ou un livre pourraient donc se faire résumer à deux-trois éléments ayant frappé l’inconscient collectif au détriment du reste ?), et dans bien des cas, j’ai trouvé cela vraiment injuste, et j’ai toujours eu à cœur de défendre les classiques de la littérature contre les stéréotypes et autres clichés auxquels on les résume et les réduit ; sans parler du « discours d’escorte », discours académique et scolaire, stéréotypé et standardisé, qui colle à l’œuvre comme un mode d’emploi simpliste et souvent bourré d’erreurs et de raccourcis, mais permettant de donner le change et l’impression de la connaître. Toutefois, dans plusieurs cas, littéraires mais plus encore cinématographiques, je dois bien admettre qu’effectivement, le mythe surpasse l’œuvre ; quelques éléments isolés ont suffi, à eux seuls, à la hisser au rang de classique malgré un scénario ou une mise en scène pas si transcendants ou carrément oubliables.  


Dans le cas de Breakfast at Tiffany’s, malgré les nombreuses qualités parcourant tout le film dont l’on pourrait discuter en détails (là n’est pas mon but ni mon intention), je me trouve face à une évidence folle à admettre : oui, le film tient essentiellement sur ses scènes d’ouverture et de fin, absolument magiques, sa musique et la force du personnage de Holly. Rien que sur ces quatre éléments, le film est « fait » et avait matière à marquer durablement les esprits, à trouver sa place dans le panthéon cinématographique. On peut enlever le reste, l’essentiel est là, et cela tenait presque en un court-métrage. Non pas que le reste soit médiocre, mais même s’il l’avait été, les deux scènes les plus importantes d’un film (son début et sa fin), et son élément le plus important (son personnage principal / son interprète) étant une parfaite réussite, tout le reste pouvait être en-dessous ou carrément oubliable, la mémoire collective avait imprimé l’essentiel, les deux scènes clés qui, aux deux extrémités du film, marquent l’évolution, la transformation, de Holly ; ses deux scènes les plus belles.

PROMENADE MUSICALE DANS LES SCENES CULTES
Le point commun et le liant de tous ces éléments (scènes et personnages), c’est la musique elle-même. Le fameux thème musical et la chanson associée, « Moonriver », composés par Henri Mancini, et qui valurent au film ses deux seuls Oscars. Et de fait, l’émotion produite par cette douce sérénade est extraordinaire et redoutablement efficace. Le compromis idéal entre douceur, tendresse et mélancolie. Et toutes les scènes clés du film et celles qui le font tenir à elles-seules, reposent elles-mêmes sur ce thème qui, dans ses multiples déclinaisons, est clairement l’âme du film.  


Dès les toutes premières notes, à l’apparition du logo de la Paramount et lors du plan inaugural montrant le taxi traverser la 5ème avenue totalement déserte au petit matin, l’émotion est immédiate. Le taxi s’arrête. Holly en sort un instant après, dans sa longue robe noire devenue célèbre. Elle lève la tête vers l’enseigne de Tiffany’s et s’approche de la vitrine pour en contempler le contenu, tout en grignotant un croissant et en sirotant un café. Elle reste contemplative un moment puis s’éloigne doucement dans la rue toujours déserte. Il y a quelque chose de magique, de chaleureux, de tendre et de glamour à la fois. On ne sait même pas encore pourquoi, mais on aime déjà ce film, on se sent déjà face à un truc d’une grande classe, un monument de cinéma, un moment de grâce, indépendamment de ce qui va suivre.

Même lors d’une autre scène culte, la fête chez Holly (une des plus farfelues et des plus drôles du film, une de mes préférées, où l’on retrouve la fibre comique de Blake Edwards, le réalisateur plus connu pour ses comédies burlesques), là encore, le thème « Moonriver » sert de leitmotiv, mais il est réarrangé en chachacha pour la circonstance, à peine reconnaissable. Tout au long du film, les notes, identiques, s’adaptent à l’humeur et l’état d’esprit de Holly : nostalgiques, festives, mélancoliques, soucieuses, etc. Cette scène de fête où une foule d’inconnus envahit l’appartement de la jeune femme est en bonne partie une improvisation des divers comédiens dont le réalisateur a laissé la fantaisie s’exprimer, en se contentant de quelques suggestions, de filmer, et de garder les meilleures idées au montage. Le résultat est délicieusement drôle et décalé, et participe directement à l’aura et au charme du film, dont il représente tout le versant de comédie.



Dans cet élan de légèreté et cette touche d’humour, une autre séquence importante et savoureuse s’écarte du familier « Moonriver » et s’habille de sonorités plus pimpantes. Il s’agit de l’enchainement de scènes suivant la journée de sortie dans New-York que passent Holly et Paul, avec pour principe : faire tour à tour quelque chose qu’ils n’ont jamais fait avant. Cela les mène de la bijouterie Tiffany’s où ils se lancent le défi de trouver un article pour 10€ à la bibliothèque où la jeune femme n’est jamais allée, en passant par le magasin de farces et attrapes pour le duo terrible s’essaie au vol à l’étalage avec plus ou moins de discrétion. Une séquence type de comédie romantique comme on les connaît bien aujourd’hui : la fameuse sortie shopping qui ressert les liens entre les personnages. Moderne pour l’époque, et toujours diablement rafraichissant et feel good.


Autre moment culte du film porté par la musique, et pour cause : la scène où Audrey Hepburn elle-même aka Holly l’interprète à la guitare au bord de sa fenêtre sous les yeux d’un Paul attendri. Justement, les premières notes de la sérénade se sont fait entendre alors que le jeune homme, de nouveau inspiré, était en train d’écrire les premières lignes d’une histoire dont sa fascinante voisine est l’héroïne. Héroïne qui écrit sa propre histoire, dans les paroles poétiques et mystérieuses de la chanson :

Moon river, wider than a mile
I'm crossing you in style someday
You dream maker
You heartbreaker
Where ever you're going I'm going your way
Two drifters off to see the world
There's such a lot of world to see
We're after the same rainbow's end
Waiting round the bend
My huckleberry friend
Moon river and me.

Un véritable moment de grâce qui a l’air presque d’une parenthèse enchantée au milieu du film, qui n’avait pas atteint cette intensité depuis la scène d’ouverture, et ne la retrouvera pas avant celle de fin. Cette impression de scène « hors sujet », c’est peut-être ce qui aura inspiré aux producteurs leur idée de la supprimer lors d’une projection test. Intervention immédiate, salutaire, indignée et sans appel d’Audrey Hepburn qui proteste : « Over my dead body ! ». La scène est heureusement restée, et a participé à la légende du film.


LA FAUSSE NOTE : M. YANIOSHI
Si on ne savait pas ces choses malheureusement courantes, on pourrait s’étonner que des producteurs remettent en question une jolie scène de chanson mais ne mouftent pas devant ce qui est probablement la seule vraie fausse note du film, et pas des moindres, une véritable casserole : le personnage de M. Yanioshi, le voisin japonais de Holly, qui passe son temps à râler après elle et à la menacer d’appeler la police pour tapage nocturne.

Jusque là, sur le papier, tout va bien. Seulement, à l’écran, le réalisateur a commis une énorme faute de casting qui plombe tout cet aspect du film : M. Yanioshi est interprété, non pas par un acteur japonais dans un jeu naturel et authentique, mais bien par un acteur tout ce qu’il y a de plus américain, dans un jeu forcé, outrancier, ridicule et caricatural digne d’une imitation d’asiatique par Michel Leeb ! Ils sont allés jusqu’à maquiller l’acteur, déformer ses traits, lui coller un dentier, pour en faire le « parfait » japonais de cartoon bien raciste qui, « bien sûr », hurle tout le temps entre ses dents de travers !


Les deux responsables de ce désastre (faisant de chaque apparition du personnage un malaise) sont, bien sûr, son interprète, Mickey Rooney, un acteur comique, mais aussi et surtout, le seul vrai maître à bord : le réalisateur lui-même, Blake Edward. En voulant s’offrir le plaisir perso d’intégrer son ami acteur au casting, Edwards a commis une erreur de débutant (alors qu’il n’en était pas du tout un) : confondre choix artistiques/professionnels et délire de potes. Les imitations qui sont marrantes en privé lors de barbecues entre amis ne fonctionnent plus du tout et n’ont pas leur place sur la scène publique et, tout particulièrement, une œuvre d’art vouée à traverser les frontières et les décennies. Dans plusieurs interviews, dont les plus récentes présentes sur l’édition DVD du film, Blake Edward revient sur cet aspect et exprime de profonds regrets. On le sent vraiment embêté, et il sait qu’il a commis une erreur qui aurait pu faire beaucoup de tort à son film si la magie ne l’avait pas emporté.

ADAPTATION DU ROMAN : UNE « BELLE INFIDELE »
        Si l’interprétation du locataire japonais est une maladresse de mise en scène, le personnage n’est en revanche pas une invention des scénaristes. Il s’agit bien d’un personnage présent dans le court roman de Truman Capote dont est tiré le film, publié à peine 3 ans avant son adaptation au cinéma, en 1958. N’ayant pas eu l’occasion de lire l’œuvre de Capote, je tire mes renseignements de mes diverses recherches mais aussi de mon amie (Circeto au Salon 111) qui connaît bien le texte.

Le film Breakfast at Tiffany’s est au roman de Truman Capote ce qu’une traduction peut parfois être à un texte original : une « belle infidèle ». Une façon élégante et positive de désigner ces traductions qui, en prenant énormément de libertés, aboutissent à une version certes infidèle mais non moins jolie et réussie d’une œuvre préexistante. C’est une forme de réécriture qui, parfois, a ses bons côtés. Le cinéma est coutumier du fait ; parfois pour le meilleur, parfois le pire.

La différence principale et fondamentale entre le film et le livre, c’est le dénouement et le destin du personnage de Holly. Dans le livre, plus amer et pessimiste, Paul et M. Yanioshi n’ont aucune nouvelle d’elle, sinon quelques indices de son départ à l’étranger. Elle a tout plaqué et laissé toutes ses connaissances derrière elle pour poursuivre ses caprices égoïstes. Dans le film, alors qu’elle est sur le point de se rendre à l’aéroport en taxi pour y rejoindre le brésilien qu’elle était censée épouser, Holly, touchée par les dernières paroles et l’ultime déclaration d’amour de Paul, change d’avis et saute du taxi pour le retrouver dans un grand final romantique. Deux salles, deux ambiances.


L’ensemble du film prépare bien ce dénouement et s’en ressent, adoptant d’entrée cette tonalité douce et mélancolique, tendre et nostalgique, glamour et romantique, le tout avec de nombreuses touches d’humour. Le résultat, c’est un film qui, loin d’un drame sentimental, pessimiste et cynique, propose un film chaleureux et touchant, entre la comédie romantique et la comédie dramatique. Il gagne ainsi énormément en ondes positives et en replay value, laissant sur un sentiment délicieux et réconfortant qui incite à le revoir, encore et encore, à rechercher la présence de ses personnages, de ses meilleures scènes, de sa musique, tout ce qui contribue à en faire un véritable feel good movie.

Alors, ok, nous, on y gagne en tant que spectateurs. Mais on peut se mettre à la place de Truman Capote, écrivain qui avait écrit une histoire avec des intentions précises, et qui la voit complètement « massacrée » par Hollywood. Même de toute infidélité à l’intrigue elle-même, rien que sur l’interprète d’Holly, il y a eu divergence radicale entre l’écrivain et les studios. Truman Capote voyait Holly en Marilyn Monroe : la pétulante blonde candide aux formes généreuses était ce qu’il avait en tête pour le personnage. Il a même été évoqué le nom de Kim Novak, cette blonde Hitchcockienne qui avait interprété Madeleine dans Vertigo (1958). La Paramount ne pouvait pas lui dégotter d’actrice plus à l’opposé de ces « pin up » en soumettant Audrey Hepburn, la ballerine brunette, la brindille élégante, a priori aux antipodes du rôle. Truman Capote était furieux sur le coup ; d’après mon indicatrice, Circeto, la prestation d’Audrey (décidément toujours irrésistible, même aux écrivains ronchons…) aurait fini par le satisfaire. Toujours est-il qu’avec ce Happy End, c’est tout le sens profond de son récit et de son personnage, tels qu’il les avait pensés et écrits, qui était remis en question. 



LE DENOUEMENT : APOTHEOSE ROMANTIQUE & PSYCHOLOGIQUE
Le dénouement, justement. Parlons-en, et finissons là-dessus ce long commentaire pourtant loin d’être à la mesure du monument dont il est question. Il s’agit, avec l’ouverture du film, non seulement d’une des meilleures scènes de la carrière d’Audrey Hepburn, mais aussi, d’une des meilleures scènes du cinéma, et en tout cas pour ma part, l’une de mes scènes préférées dans tout ce que j’ai vu à ce jour. C’est tout ce que l’on peut s’imaginer, se représenter et rêver de mieux en songeant aux plus grands films romantiques de l’âge d’or Hollywoodien : une ruelle de New-York sous la pluie, le taxi jaune, une scène de rupture et des mots qui font mal, un ultime dilemme, puis les retrouvailles des amants dans une étreinte et un long baiser passionné, le tout avec une musique mythique ; ici, encore et toujours, le thème « Moonriver », concluant le film en chanson puis en fanfare ! Parfois, on ne demande pas autre chose au cinéma que cela. De l’émotion et de la beauté à l’état pur, en toute simplicité, et peu importe les clichés, quand c’est là qu’ils s’inventent.


Si ce dénouement se tient déjà très bien rien qu’en climax sentimental, il n’est même pas que cela, mais plus encore. On assiste véritablement à la résolution d’un cas psychologique, et à une véritable leçon de relations humaines.

Paul est au côté de Holly qui se dirige vers l’aéroport en taxi, bien décidée à rejoindre son amant brésilien même si celui-ci vient d’annuler leurs fiançailles. Paul tente alors de dissuader la jeune femme de partir pour ce voyage sans issue, mais ses déclarations d’amour n’y font rien ; Holly s’entête, et persiste dans son discours niant toute forme d’attachement entre les personnes : « We don’t belong to anybody, and nobody belongs to us, we don’t even belong to each other », et pour marquer ses paroles et prouver sa théorie, elle commet le geste crève cœur d’arrêter le taxi pour abandonner son chat.


Le taxi repart. Paul, ahuri et dépité, stoppe le taxi à son tour et, juste avant de claquer la portière, prononce une tirade d’une extraordinaire éloquence, parmi les plus belles et justes sur ces personnes incapables de s’engager dans une relation, de s’abandonner à autrui, d’appartenir à quelqu’un, préférant se construire une image narcissique d’animal sauvage et indomptable au nom d’une liberté bien illusoire : 

« You know what’s wrong with you, Miss Whoever-you-are? You’re chicken, you’ve got no guts. You’re afraid to stick out your chin and say, “Okay, life’s a fact, people do fall in love, people do belong to each other, because that’s the only chance anybody’s got for real happiness.” You call yourself a free spirit, a “wild thing,” and you’re terrified somebody’s gonna stick you in a cage. Well baby, you’re already in that cage. You built it yourself. And it’s not bounded in the west by Tulip, Texas, or in the east by Somali-land. It’s wherever you go. Because no matter where you run, you just end up running into yourself. » 

Leçon toute stoïcienne, dans la plus pure tradition antique : le mal ne se fuit pas, il ne sert à rien de voyager ou de courir pour le semer, il nous suivra partout, puisqu’il est en nous, et pour vraiment nous transformer, le voyage doit donc être intérieur et introspectif. Les mots de Paul font mouche. Et alors qu’il s’éloigne déjà, Holly, enfile la bague qu’il lui a jetée en claquant la portière et réalise son erreur. Elle change d’avis et court retrouver le chat, laissant enfin s’exprimer son attachement, prouvant que, quoi qu’elle en dît, elle et lui s’appartenaient, et qu’il en est de même avec Paul, dont elle peut enfin accepter l’amour. Un chœur entonne le dernier couplet de « Moonriver » dans une ultime envolée de notes triomphales !


Dans le genre leçon de vie et en même temps jolie bouffée d’optimisme, on préférera mille fois cette fin Hollywoodienne à celle, amère et désabusée, de l’écrivain qui voyait la call-girl tout laisser derrière elle en toute indifférence pour courir après un bon partir à travers le monde !

POUR CONCLURE
Il y avait beaucoup à dire (et il y aurait encore beaucoup à dire) sur ce film, et c’est bien la preuve qu’il n’usurpe pas son statut de classique du cinéma et de chef-d’œuvre dans la filmographie d’Audrey Hepburn. Il a un statut plus ambigu pour moi. Car si je rejoins sa propre interprète et la plupart des spectateurs pour penser et dire qu’il s’agit là probablement du meilleur film dans lequel elle a tourné et de sa composition la plus poussée, en revanche, je serais beaucoup moins affirmatif s’il s’agit de dire que c’est le meilleur « Audrey ». Une chose est sûre à ce stade : ce n’est pas mon préféré d’elle en particulier. J’aurais tendance à accorder cette préférence à Funny Face où beaucoup de choses concordent (Stanley Donnen, comédie musicale, Audrey en libraire intello folle de philo, maturité physique à point…) pour en faire celui qui représente le mieux Audrey. Breakfast at Tiffany’s est à l’opposé de ce qu’elle est, ce qui en fait le film le plus intéressant et le meilleur non pour Audrey (une sorte de personnage très proche d’elle qui émerge de la plupart de ses films), mais pour Mrs Hepburn (l’actrice de composition). Nul doute pourtant qu’elle a énormément apporté sa touche, et qu’on lui doit une bonne partie de cette douceur, de cette tendresse et cette élégance qui se dégagent d’un film centré sur une call-girl qui devait initialement être interprétée par Marilyn Monroe. C’est dire comme on revient de loin, et que la présence d’Audrey a, malgré un nécessaire travail de composition, profondément et positivement impacté le film.


Commentaires